Le trésor de Pachacutec
J’ai récemment visité le Machu Picchu au cours d’un week-end incroyable. Le nombre de chantiers et de zones fermées au public augmentait de jour en jour. Plusieurs fouilles étaient en cours sous le temple principal. C’est le début de cinq années d’une restauration massive du site, qui changera radicalement l’expérience des touristes sur place. J’ai toujours été fasciné par les trésors enfouis et les chambres secrètes des temples du monde entier. Autant dire que lorsque Thierry Jamin, archéologue et explorateur français renommé, a annoncé que lui et son équipe de chercheurs avaient découvert une porte secrète menant peut-être à un trésor perdu sous le Machu Picchu, j’ai immédiatement pris contact avec lui pour en apprendre plus sur sa découverte. D’après lui, il pourrait s’agir de la plus grande découverte archéologique jamais exhumée entre les murs de la célèbre citadelle. Et pourtant, la division de Cuzco du ministère de la Culture péruvien a défendu de fouiller les ruines à Jamin et ses collaborateurs de l’Instituto Inkari.
Jamin et son équipe ont annoncé il y a quelques temps que leurs appareils électromagnétiques avaient détecté la présence d’une chambre secrète dissimulée derrière des murs construits vers 1450. Selon les chercheurs, ce lieu secret est susceptible d’abriter le tombeau de Pachacuti Inca Yupanqui (ou Pachacutec), l’empereur inca pour qui le Machu Picchu aurait été construit au XVe siècle. Jamin pense qu’il y a de fortes chances que la crypte contienne un trésor rempli d’or, d’argent et d’autres métaux précieux, ce qui en ferait la plus grande découverte jamais réalisée sur le site. Mais le projet se bute à l’inflexibilité du gouvernement péruvien. L’archéologue français raconte que lorsque l’Instituto Inkari et lui ont présenté leur découverte à l’office du ministère de la Culture pour la région de Cuzco et qu’ils ont fait part de leur intention de creuser dans les ruines, leur demande a été rejetée sans tarder. Le directeur du ministère de la Culture pour la région de Cuzco, David Ugarte, s’explique : « C’est le ministère de la Culture de Lima qui a autorisé l’archéologue Thierry Jamin à mener des études d’observation et à parcourir la citadelle. Mais lorsqu’il a sollicité la permission de fouiller les ruines sous prétexte qu’un scanner laser aurait détecté un tombeau inca rempli d’or, nous avons rejeté sa demande car cette hypothèse n’est pas réaliste. » Le ministère de la Culture et les directeurs du site redoutent que le projet de fouilles mette en péril l’équilibre de la structure. Ce ne serait pas la première fois. Par le passé, des recherches ont provoqué l’effondrement d’une partie des murs historiques. Les autorités craignent aussi que l’Instituto Inkari se soucie davantage des métaux précieux que renferme hypothétiquement la chambre que de la valeur historique inestimable du site. « Thierry Jamin nous a fait l’impression d’être plus un aventurier en quête d’un trésor qu’un scientifique menant des travaux de recherche sérieux », conclue Ugarte.
La chambre mortuaire
Tout a commencé en février 2010 alors que l’ingénieur français David Crespy prenait des mesures dans les ruines et les passages étroits du Machu Picchu. Au cœur de la citadelle, il a remarqué la présence d’une curieuse « porte », située au pied d’un des édifices principaux du site. Elle menait à un étroit passage qui semblait n’avoir jamais été emprunté ni par les touristes, ni par les archéologues. Crespy a tout de suite compris qu’il s’agissait d’une entrée scellée par les Incas. Il a averti les archéologues travaillant sur le site et ses responsables. Après avoir visité les lieux, tout le monde l’a assuré que des recherches seraient bientôt entreprises. Mais des mois plus tard, malgré ses mails et ses appels téléphoniques répétés, les autorités péruviennes ne l’avaient toujours pas recontacté au sujet de sa trouvaille.
En août 2011, Crespy est tombé par hasard sur un article du Figaro qui évoquait les importants travaux archéologiques de Thierry Jamin au Pérou. Il a pris contact avec lui. Le Français avait participé à des fouilles sur différents sites archéologiques au nord de Cuzco, et il a confirmé l’hypothèse de Crespy. Entre septembre et novembre 2011, il s’est rendu à plusieurs reprises au Machu Picchu accompagné d’autres archéologues pour examiner les lieux. Selon ses premières conclusions, la « porte » était bel et bien une entrée scellée par les Incas. Le site présentait également des ressemblances troublantes avec les sépultures découvertes précédemment dans les vallées de Lacco-Yavero et Chunchusmayo. L’entrée condamnée se trouve au centre d’un des édifices principaux de la ville, « le Temple aux Trois Portes », qui domine toute la zone urbaine du Machu Picchu. Un emplacement permettant d’espérer qu’il s’agit d’un important site funéraire.
Les historiens estiment que le Machu Picchu appartenait à la dynastie de l’empereur inca Pachacutec, qui a fait du petit État andin l’empire le plus puissant du continent américain. Cela confirmerait que Pachacutec fut enterré dans la cité de Patallacta, le nom originel du Machu Picchu. Il est plus que probable que la chambre funéraire ait un rapport avec le mythique souverain du XVe siècle. Y découvrir sa dépouille constituerait un événement majeur dans l’histoire du Pérou et des civilisations précolombiennes, car la momie de l’empereur inca n’a jamais été retrouvée.
Le 22 mars 2012, le ministère de la Culture péruvien a donné le feu vert à l’équipe de Thierry Jamin pour effectuer des relevés électromagnétiques destinés à confirmer ou non la présence d’une chambre funéraire dans les soubassements de l’édifice. L’utilisation du géoradar Golden King DPRP a permis aux chercheurs d’établir avec certitude qu’il existait deux entrées derrière la fameuse porte. Ils ont également pu réaliser une représentation en 3D des escaliers menant à la salle principale, qui a toutes les chances d’être une chambre mortuaire. Quelques jours plus tard, de nouveaux échos se sont fait entendre grâce à l’utilisation d’un Rover CII New Edition et d’un CaveFinder, deux appareils spécialement conçus pour détecter la présence de cavités souterraines. Les données collectées ont permis de confirmer l’existence d’escaliers et de plusieurs cavités dont une grande salle quadrangulaire d’une profondeur de trois mètres. Les radars à pénétration de sol (RPS) ont également détecté la présence d’une importante quantité de métaux. L’utilisation d’un discriminateur de fréquence moléculaire a quant à elle mis en évidence la présence d’objets en or et en argent. Enfin, l’utilisation d’une caméra endoscopique placée dans les parties hautes des pierres de l’entrée a confirmé l’hypothèse selon laquelle lesdites pierres n’avaient d’autre fonction que de bloquer l’entrée. Elles n’étaient vraisemblablement pas destinées à soutenir les structures internes de l’édifice.
Les échos des RPS sont clairs et le diagnostic des techniciens de différentes entreprises a confirmé ce fait. Ils indiquent la présence de cavités qui correspondent à la structure classique des chambres funéraires des civilisations pré-hispaniques. La chambre est notamment orientée vers l’est, comme c’est le cas de la plupart des sites funéraires incas. Les recherches pourraient donc aboutir à la découverte du fameux mausolée que l’empereur Pachacutec a fait construire au XVe siècle pour abriter son propre tombeau ainsi que ceux de toute sa lignée. Après avoir présenté son compte-rendu définitif au ministère de la Culture péruvien (approuvé le 5 septembre 2012), Thierry Jamin s’est mis à travailler sur son projet d’ouverture de l’entrée, scellée par les Incas il y a plus de 500 ans.
Le 22 mai 2012, l’archéologue a déposé une demande officielle auprès des autorités péruviennes dans laquelle il demandait à ce qu’on les autorise, son équipe et lui, à réaliser des fouilles dans les chambres funéraires. Le projet était intitulé « Projet d’Investigations Archéologiques (incluant des fouilles) ». Il espérait conduire à l’exhumation d’artefacts funéraires inestimables après ouverture du panneau d’accès condamné par les pierres. Dirigé par Thierry Jamin et Hilbert Sumire, le directeur officiel du projet archéologique, l’opération reposait sur une équipe d’experts internationalement reconnus, à l’instar de l’architecte et conservateur péruvien Victor Pimentel Gurmendi, en charge de la conservation sur le projet.
Le coup monté
Entre les mois de juin et d’octobre 2012, le projet « Macchu Picchu 2012 » a été minutieusement étudié par différents départements du ministère de la Culture de Lima. Lors de cet examen approfondi, le projet a été transféré à la direction du sanctuaire national du Machu Picchu, afin d’avoir leur avis quant à sa viabilité. Le 19 juillet 2012, l’archéologue Piedad Champi Monterroso a rédigé un compte-rendu négatif sur le projet. Selon elle, l’entrée découverte par David Crespy ne pouvait être considérée que comme « un simple mur de soutènement ». Elle y taxait l’archéologue Hilbert Sumire de « guide touristique » et l’équipe de Thierry Jamin de « chasseurs de trésors ». Sans apporter la preuve technique de ses dires, elle affirmait que déplacer les pierres risquait d’ébranler l’équilibre de la structure toute entière.
L’historien péruvien Teodoro Hampe est lui aussi d’avis que les cavités découvertes sous le « Temple aux Trois Portes » par l’équipe d’Inkari pourraient abriter les chambres funéraires de la panaca, la lignée de l’empereur Pachacutec. Il ajoute cependant que la momie impériale a probablement été transférée à Lima au XVIe siècle par les conquistadors espagnols et cachée avec d’autres dépouilles de grande valeur dans une crypte secrète située sous les fondations de l’hôpital San Andrés. À l’époque, le directeur culturel de la région David Ugarte Vega Centeno a annoncé à l’Instituto Inkari que leur demande de permis pour procéder à l’ouverture des chambres funéraires avait été refusée par l’office de la région. Selon lui, le projet représentait un risque sérieux pour la légendaire cité inca.
En septembre 2013, une autre équipe d’archéologues, missionnée par le Sanctuaire historique de Machu Picchu, a réalisé des mesures supplémentaires et effectué de nombreux scans du « Temple aux Trois Portes » et de son entrée scellée. Ils ont par la suite présenté un autre projet d’ouverture des chambres souterraines aux responsables du site, concurrençant celui de l’Instituto Inkari. Depuis le début de la controverse, l’accès à l’entrée menant aux chambres mortuaires est interdit. Un panneau « en chantier » barre aujourd’hui l’accès au site. Lorsque je m’y suis rendu le mois dernier, j’ai demandé à mes guides de me montrer l’endroit mais ils n’ont pas réussi à obtenir l’autorisation. Le 14 juillet 2014, l’Instituto Inkari a déposé officiellement un nouveau projet de recherches, dirigé là encore par l’archéologue péruvien Hilbert Bustincio Sumire. Ils demandent l’ouverture des chambres mortuaires découvertes en avril 2012 afin d’étudier les objets qu’elles pourraient renfermer. Le projet s’est étoffé avec l’arrivée de l’anthropologue américain Haagen Klaus Dietrich, de l’université George Mason, en tant que spécialiste de l’étude des matériaux funéraires organiques. Le 4 septembre 2014, le directeur régional de la Culture de Cuzco a envoyé une lettre à l’institut les informant d’un nouveau refus.
Un compte-rendu technique a suivi, faisant état de la « non-viabilité » du projet de l’Instituto Inkari en raison de l’existence d’un projet rival présenté par les responsables du Sanctuaire historique de Machu Picchu. L’archéologue Sabino Quispe Serrano, qui fait partie de la Dirección de Coordinación de Calificación de Intervenciopnes Arqueológicas, a jugé « déloyal » le projet de recherches présenté par Thierry Jamin et l’Instituto Inkari. Enfin, un autre rapport a été rédigé par l’archéologue José Miguel Bastante Abuhadba, co-directeur du projet du Sanctuaire (affilié au gouvernement). Cette fois-ci, l’archéologue Piedad Champi Monterroso a accordé son soutien à José Miguel Bastante Abuhadba pour que la fouille de la chambre secrète et les autres recherches soient mises en œuvre dès 2017.
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Le Peruvian Times rapporte qu’un important projet de restauration du Machu Picchu a été approuvé l’année dernière par le gouvernement péruvien. Ce dernier investira 14,6 millions de dollars dans son remaniement. Le projet insiste sur le problème que pose l’augmentation constante du nombre de touristes depuis des années. Il sera lancé au cours des trois prochaines années.
En 2014, le Machu Picchu a enregistré un total de 1 079 426 visiteurs, sans compter les 200 randonneurs qui se rendent quotidiennement sur le site. Ce nombre vertigineux dépasse largement le seuil des 2 500 visiteurs journaliers fixé par le gouvernement péruvien et l’UNESCO. Le projet de restauration entend améliorer l’expérience des visiteurs et leur offrir un panorama plus vaste du site en leur donnant accès à l’intégralité de la montagne. Le projet prévoit également de remplacer l’entrée actuelle du site, qui se trouve aux portes des ruines, par une entrée située dans la jungle, au pied de la montagne. Il prévoit aussi la création de nouveaux parcours, un temps de visites limité, la construction de nouvelles toilettes et une régulation accrue du trafic. En accueillant seulement 100 touristes toutes les dix minutes entre 6 heures du matin et 16 heures, le Machu Picchu compterait un total de 6 000 touristes par jour, soit plus de deux millions par an. Les détracteurs du projet déplorent le fait qu’il mettra fin à la dimension spirituelle de la visite, qui permet actuellement au visiteur de contempler la montagne sacrée sans limite de temps. Nous sommes peut-être à la veille de changements dramatiques pour l’une des sept merveilles du monde. Et l’exploration des chambres secrètes pourrait bien être à jamais enterrée… Néanmoins, l’arrivée au pouvoir du nouveau président péruvien Pedro Pablo Kuczynski pourrait être l’opportunité de faire bientôt toute la lumière sur le mystère du Machu Picchu.
Traduit de l’anglais par Lucile Martinez d’après l’article « Will a Hidden Treasure Chamber Discovered Under Machu Picchu Finally Be Revealed? », paru dans Forbes. Couverture : Panorama du Machu Picchu. (Wikipédia/Ulyces)
À LA RECHERCHE DE L’ARCHE PERDUE
On raconte qu’un artéfact aux pouvoirs extraordinaires disparut il y a des milliers d’années. En Éthiopie, sur les traces de l’Arche d’alliance.
I. Les rues de Lalibela
Ils marchent pour Dieu. Et ils sont des milliers sur les routes en ce mois de janvier, à la veille de Timkat, le jour de l’Épiphanie en Éthiopie. Ils sont chrétiens coptes, et tous marchent vers Lalibela, que l’on dit ici la Jérusalem noire. Certains sont pieds nus, mais leur foi semble les porter. À Lalibela, ils iront se recueillir dans les douze temples creusés à même la roche de cette cité que l’on voulut faire dans le passé à l’image de la ville trois fois sainte d’Israël. À 640 km de routes et de pistes d’Addis-Abeba, la capitale, nous sommes là plus près des cieux qu’ailleurs : 2 700 m d’altitude. L’Éthiopie, c’est le pays des « visages brûlés » – ethiops, en grec. Le pays des mythes de l’Ancien Testament. Un lieu dont nous aurions tous quelque chose en nous, et que les Égyptiens appelaient déjà la Terre des Dieux. L’Église éthiopienne s’affirme aujourd’hui comme la plus orthodoxe, la plus proche des rites originels, ceux des premiers chrétiens. Car elle doit d’avoir conservé ses usages liturgiques les plus anciens, très imprégnés de l’Ancien Testament, au grand isolement dans lequel elle a développé sa spiritualité.
Les rues sont déjà pleines de tous ceux que Timkat attire. Éthiopiens bien sûr, mais aussi de nombreux étrangers, touristes du monde entier, venus s’émerveiller devant la fastueuse démonstration organisée pour prier la plus sainte des reliques. Une procession au cours de laquelle les prêtres orthodoxes exhibent au monde la principale raison de leur fierté religieuse, l’Arche d’Alliance, qui serait selon leur tradition conservée sur les terres d’Éthiopie, depuis sa disparition du premier temple de Jérusalem où elle résidait au temps du roi Salomon. Lalibela compte 350 prêtres pour 10 000 habitants. Des prélats qui vivent en partie de l’aumône des pèlerins, tandis que le haut clergé bénéficie des taxes prélevées aux touristes. Le passage par le bureau d’informations est obligatoire pour y retirer le sésame qui me permettra de déambuler librement dans tous les monuments de la ville. Se loger le temps des festivités n’est pas non plus chose aisée : les lits sont réservés parfois une année à l’avance.