Corruption
Depuis l’invasion militaire de l’Afghanistan, il y a 15 ans, la corruption étatique n’a eu de cesse de saper les efforts de reconstruction du pays : des câbles diplomatiques et des rapports internes du gouvernement américain récemment déclassifiés prouvent que les dirigeants américains le savent depuis des années. Ces rapports affirment que le détournement des ressources afghanes et de l’aide étrangère ont dépossédé la nation d’un argent vital pour sa reconstruction, aliénant ses citoyens au passage. Ces méfaits ont alimenté le soutien de la population envers l’ennemi des nations occidentales : les talibans, qui appliquent des châtiments draconiens aux fonctionnaires corrompus. Pourtant, la majeure partie des dirigeants américains en charge de la reconstruction du pays n’ont pas tenu compte de ces cris d’alarme, comme le révèlent leurs propres analyses. « Ce qui a le plus miné nos efforts en Afghanistan, c’est la corruption », estimait il y a peu Ryan Crocker, l’ambassadeur américain en Afghanistan de 2011 à 2012, au cours d’un audit.
Washington a payé cher pour ses erreurs : le gouvernement américain a investi plus de 800 milliards de dollars en Afghanistan, dont environ 100 milliards en paiements directs. Les États-Unis ont perdu là-bas plus de 2 300 de leurs citoyens au cours des 15 dernières années – l’invasion a débuté le 7 octobre 2001. Aujourd’hui, on estime qu’au moins un dixième de la population afghane est sous le contrôle des talibans, tandis que 25 % de plus sont dans une situation trouble. Et ces chiffres tendent à augmenter plutôt qu’à reculer. Il faut ajouter que près de 40 % de la population du pays vit avec moins d’1,20 euros par jour. En vérité, Washington a obtenu si peu de résultats concrets qu’en septembre dernier, un groupe de dix anciens ambassadeurs et commandants de l’armée en Afghanistan a publié une déclaration commune dans le magazine National Interest. Ils affirment que stabiliser le pays et mettre un terme à son incubation terroriste sans fin requerra au minimum les efforts d’une autre génération.
Pendant ce temps, les Américains déboursent à eux seuls près d’un milliard de dollars par an pour la reconstruction, plus quatre autres milliards de paiements directs pour continuer à renforcer des forces de sécurité afghanes désespérément faibles (et en partie imaginaires). Dévoiler tout ce qui est allé de travers risque de prendre du temps. (Les « Pentagon Papers », qui analysaient les erreurs commises par les Américains durant la guerre du Viêt Nam, ont été rendus publics deux ans après leur constitution, en 1969, et 21 ans après l’ingérence militaire désastreuse des États-Unis dans le pays.) Le Comité des chefs d’état-major interarmées a conclu dans un rapport paru en 2014 que les responsables civils et militaires avaient sévèrement sous-estimé la gravité et l’impact de la corruption en Afghanistan. De nombreuses analyses critiques commencent à émerger au sein du gouvernement, et la plus récente montre du doigt l’administration Obama – particulièrement le département d’État lorsque Hillary Clinton était à sa tête, et la CIA durant toute la période des administrations Bush et Obama. La dernière étude affirme que tout en essayant de stabiliser le pays, ces institutions n’ont fait qu’aggraver ses problèmes. La CIA s’est associée durant une longue période à des seigneurs de guerre proches du pouvoir, à la tête de « nombreuses activités de corruption » par opportunisme politique. Pendant ce temps, les organisations d’aide humanitaire américaines ont également contribué au financement de la corruption afghane en injectant plus de fonds que le pays ne pouvait raisonnablement en absorber. Leurs organisations d’aide humanitaire évaluaient les progrès à la mesure de l’argent dépensé plutôt qu’à la façon dont il l’était. En raison des courtes périodes de déploiement militaire et du turnover important aux postes de direction civils, personne à Washington ou en Afghanistan n’a pris ses responsabilités et résolu ces problèmes.
Ces critiques sont énoncées dans un rapport rédigé par l’inspecteur général affecté à la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), John Sopko, qui a étudié les efforts déployés en Afghanistan pendant quatre ans. Son équipe a interviewé 80 personnes et s’est entretenue avec cinq agences ou départements en charge de la reconstruction. « Il faut impérativement que l’on arrête de traiter avec des personnes et des réseaux douteux, c’est dangereux », a déclaré Sopko à la Fondation Carnegie pour la paix internationale où il présentait son rapport, le 14 septembre dernier. « On ne devrait pas tolérer les violations d’accords et le travail bâclé, et la mise en œuvre de projets caduques doit cesser. » L’attitude des autorités américaines est à l’exact opposé. Personne ne devrait donc être surpris des résultats discutables de l’intervention en Afghanistan.
Sourde oreille
Au début de l’occupation américaine, l’Afghanistan se trouvait tout en bas du classement annuel de la Banque mondiale sur la corruption. Depuis 2005, il est en bas du tableau d’une liste annuelle sur la corruption publiée par l’ONG allemande Transparency International. Un câble envoyé à Washington par l’ambassade américaine, intitulé « Affronter la crise de la corruption en Afghanistan » et déclassifié pour l’étude de Sopko, expliquait clairement que la corruption faisait « partie de la vie quotidienne » en Afghanistan et qu’elle représentait « une menace de taille pour son avenir ». L’ambassade concluait en disant qu’il était fondamental d’en venir à bout « pour que les efforts de reconstruction ne soient pas vains ». C’est l’Agence des États-Unis pour le développement international, ou USAID, qui a distribué la majeure partie des fonds de Washington pour l’édification de la nation. Elle a pour sa part noté cette année-là dans un plan stratégique interne que les institutions afghanes étaient gangrenées à tous les niveaux par « des degrés importants de corruption ». « Au sein du peuple, un mécontentement terrible est en train de naître contre ce gouvernement corrompu et inefficace », disait sans détours une étude du Pentagone rédigé en 2006. Le rapport de Sopko indique que cette année-là, le président afghan Hamid Karzai a désigné comme chef de son agence de lutte contre la corruption un homme qui avait été condamné aux États-Unis pour trafic de drogues. C’est aussi à cette époque que Karzai a donné son aval aux nominations de 14 hauts fonctionnaires de police « tous liés à des réseaux criminels », d’après un mémo secret (déclassifié depuis) rédigé par un conseiller du secrétaire de la Défense des États-Unis.
Une étude menée par une organisation afghane en 2007 affirmait qu’ « une toile puissante et entremêlée de réseaux illégaux » avait la mainmise sur toutes les couches du pouvoir. Deux ans plus tard, au début de l’administration Obama, l’ambassade américaine à Kaboul a averti dans un câble que la corruption d’État – qui assurait notamment la protection du trafic de narcotiques florissant du pays – était « tout aussi capable de mettre la reconstruction en péril que les insurgés ». Les diplomates britanniques n’étaient pas moins au courant des risques : une ONG anglaise a signalé dans un rapport de 2009 que la corruption était pour la population « une raison majeure de soutenir les talibans ». En 2010, lors d’une réunion avec des diplomates américains, le conseiller à la sécurité nationale afghan l’a admis : « La corruption est le système de gouvernance du pays. »
Durant les sept premières années de l’invasion, la réponse de Washington à cette situation a été de prioriser la lutte contre le terrorisme et le développement, d’après le rapport de Sopko. Ils ne savaient pas à quel point ces objectifs dépendaient de leur capacité à empêcher les fonctionnaires afghans de détourner les ressources publiques. La création en 2008 d’une unité de renseignement militaire spécifiquement vouée à cette tâche a été un véritable électrochoc pour Washington. « Ils ont réalisé combien la situation était grave et qui était impliqué », selon Kirk Meyer, le chef de l’unité de 2008 à 2011. Les données des sondages récoltées durant le mandat de Karzai confirment à quel point les transferts d’argent illégaux vers l’étranger étaient mal contrôlés. Dans une étude annuelle détaillée réalisée par l’Asia Foundation, on apprend que le nombre de personnes ayant fait les frais de la corruption dans les bureaux des douanes est passé d’environ 40 % en 2006 à 61 % en 2015. La valeur moyenne du bakchich a augmenté d’un cinquième entre 2010 et 2014, et le nombre de personnes qui ont dit avoir été confrontées à la corruption dans le système judiciaire a augmenté de 42 % à 61 %. Durant toute la durée de l’occupation, la population afghane n’a cessé de penser que la corruption gangrenait aussi la police nationale – un bénéficiaire majeur d’aides étrangères. La moitié des personnes interrogées disent y avoir eu affaire.
Même après que Washington a saisi l’importance du problème de la corruption en 2009 et que le président Obama a publiquement exigé des mesures répressives à l’égard de ces comportements, les responsables ont à peine bougé. L’ambassade de Kaboul a élaboré une stratégie globale de lutte contre la corruption qu’elle a envoyée à la Maison-Blanche en 2010. Elle n’a jamais été approuvée par la secrétaire Clinton (ni qui que ce soit d’autre). Quand son plus grand défenseur – Richard Holbrooke, conseiller de Clinton et ancien diplomate qui avait vu les effets débilitants de la corruption de près durant son affectation dans les Balkans – est mort en décembre 2010, personne n’a repris le plan en main ni plaidé pour qu’il soit approuvé.
L’Agence
L’année suivante, le Fonds monétaire international a négocié un nouveau prêt de 133 millions de dollars sur trois ans à Kaboul. Plusieurs donateurs étrangers – dont l’administration Obama – ont au départ retenu leurs fonds pour forcer Karzai à mettre en place des réformes financières. Ils ont également réclamé le recouvrement de près d’un milliard de dollars que des Afghans proches du pouvoir avaient détourné de la banque nationale. Au terme des discussions, les Afghans ont promis de faire le nécessaire et Washington et leurs alliés ont fini par accorder le prêt. Lors d’une conférence des donateurs à Bonn, en Allemagne, au mois de décembre de cette année-là, Hillary Clinton a déclaré en saluant la reprise de l’aide que les réformes économiques que Karzai avaient exposées étaient « prometteuses ».
Certains hauts fonctionnaires afghans étaient payés par la CIA, d’après les aveux de Karzai en personne.
Sopko fait une analyse différente de ce moment – un moment où les nations occidentales étaient drastiquement endettées : « Le gouvernement afghan n’a désigné personne comme responsable du pillage et n’a pas récolté le moindre sou auprès des individus proches du pouvoir qui ont escroqué le peuple afghan. Il n’y a eu aucune conséquence. » Washington aurait pu exiger des objectifs mesurables, mais ils ne l’ont pas fait. À cette époque, ainsi qu’à d’autres moments durant cette longue période d’occupation, « le gouvernement américain, en accord avec d’autres agences, aurait pu demander l’annulation des visas des fonctionnaires afghans corrompus et de leurs familles, ainsi que des mesures légales plus sévères à l’encontre des Afghans corrompus possédant la double-nationalité américaine. » Un groupe international comprenant des fonctionnaires du département du Trésor américain a rendu ses conclusions en novembre de cette année-là. Les individus mis en examen par le gouvernement afghan en 2012 pour le détournement des fonds de la banque n’incluaient pas « les responsables des cabinets comptables qui créaient de faux documents pour la banque de Kaboul, les employés des compagnies d’aviation qui faisaient sortir de l’argent d’Afghanistan ou les actionnaires qui recevaient des fonds via des prêts à 0 %, sans aucune intention de rembourser ». Beaucoup d’entre eux entretenaient des liens étroits avec le pouvoir politique. Le rapport affirme que la décision finale de l’accusation « a été prise au niveau politique ». Interrogé sur ces événements – dont le refus de Clinton d’approuver le plan de lutte contre la corruption de l’ambassade américaine à Kaboul –, le porte-parole de la campagne présidentielle Jesse Lehrich a répondu qu’Hillary Clinton avait contribué à s’assurer que « les ressources américaines en Afghanistan étaient utilisées de façon responsable. Elle a été très claire à chaque étape du processus sur le fait que les États-Unis ne signaient pas un chèque en blanc. » Il ajoute que grâce à ses efforts, les contrats civils et militaires, les opérations d’achats et les procédures de contrôle ont tous été améliorés. « Pendant trop longtemps, nous n’avons focalisé notre attention que sur les talibans », a déclaré le général John Allen, ancien commandant de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan de 2011 à 2013, devant le Comité des affaires étrangères du Sénat des États-Unis en 2014. « Ils ne sont qu’une simple irritation comparés à l’ampleur et la magnitude de la corruption. »
Un groupe de diplomates et d’experts issus d’importants pays donateurs se sont rassemblés en avril dernier à l’Institut des États-Unis pour la paix, pour discuter des erreurs commises durant l’intervention des nations occidentales en Afghanistan. Ils ont remarqué que les Afghans avaient compris rapidement comment dresser les nations les unes contre les autres dès lors qu’on les pressait de mettre en place des réformes de lutte contre la corruption. « La conditionnalité », c’est-à-dire la menace de ne pas verser les aides dans le but de pousser à l’action, a été « affaiblie par de multiples donateurs capables de fournir des sources d’aide alternatives », ont-ils conclu. Il y avait un autre problème qui faisait obstacle aux politiques mises en place par les pays donateurs : durant cette période, certains hauts fonctionnaires afghans – dont des membres du cabinets de Karzai – étaient payés par la CIA, d’après les aveux de Karzai en personne. « La CIA a employé toute son énergie à lutter contre le terrorisme. De ce fait, elle n’a pas hésité à comploter et collaborer avec des fonctionnaires corrompus », explique Sarah Chayes, une ancienne reporter qui vivait à Kandahar entre 2002 et 2009. Elle est ensuite devenue conseillère sur l’Afghanistan de plusieurs commandants de l’armée américaine, ainsi que du Comité des chefs d’état-major interarmées. « J’y ai été confrontée sur le terrain à Kandahar. Je voyais souvent des officiers de la CIA se mettre en travers d’enquêtes sur des affaires de corruption en cours. » Elle est d’avis que Washington devrait « observer plus attentivement la façon dont l’agence exerce ses fonctions ». La population afghane attendait que les puissances occidentales fassent davantage pour mettre un terme à la corruption locale, dit-elle. « Les gens ne pouvaient plus le supporter et notre complicité les a poussés dans les bras des talibans. » Lorsqu’elle travaillait avec l’armée, elle a participé à l’élaboration d’une vaste campagne de lutte contre la corruption. Elle raconte qu’elle a dû être abandonnée « une fois qu’il a été clair qu’il n’y avait aucune volonté politique en ce sens à Washington ».
Interrogée à ce sujet, la porte-parole de la CIA Heather F. Horniak dit la chose suivante : « Bien que nous ne puissions pas nous prononcer sur telle ou telle affirmation spécifique, notre but est toujours d’améliorer les compétences et le professionnalisme de nos alliés étrangers. Nous avons fait des progrès significatifs pour aider nos partenaires afghans à répondre à certains soucis préoccupants. »
Plus de milliards
Les récentes évolutions du pays ne sont pas encourageantes. Les talibans ont pris le contrôle de nouveaux districts et gagné du terrain à Helmand ainsi que dans quatre autres provinces, dont la plupart sont d’anciens champs de bataille des forces américaines. Les pertes civiles se chiffrent actuellement à près de 3 000 par an, et plus de deux fois ce nombre de blessés. Dans un rapport datant du 26 septembre dernier, le service des études du Congrès a déclaré que les dispositions prises par le gouvernement afghan étaient « inquiétantes à de nombreux égards ». Les experts du National Interest, un groupe rassemblant tous les commandants de l’armée américaine ayant servi en Afghanistan entre 2009 et 2014, n’ont évalué positivement qu’entre deux et quatre des six commandants de l’armée afghane. Et ce après qu’environ 40 milliards de dollars du Trésor américain ont été investis dans l’armée afghane à ce jour. 28 milliards de dollars de plus ont été injectés dans d’autres forces de sécurité, dont la police, réputée pour son inefficacité. À peine plus d’un tiers de la population est optimiste quant au futur de l’Afghanistan. Les deux autres estiment que la situation est désastreuse et qu’on n’y est pas en sécurité.
Les responsables du groupe National Interest, qui a été formé par Michael O’Hanlon, de la Brookings Institution, ne comptent pas abandonner pour autant. Ils exhortent le gouvernement américain à opter pour une « approche plus discrète et patiente », et sont d’avis qu’il « faut cibler en priorité la corruption prédatrice ». Ils plaident pour que Washington fasse pression en urgence sur le voisin pakistanais, où les leaders talibans et leurs soldats trouvent refuge depuis longtemps. Les responsables de l’administration Obama s’opposent régulièrement à cette idée. Ils font également remarquer avec un soupçon de mélancolie qu’en 2013, l’armée américaine « se laissait la possibilité » de déployer 5 000 soldats de plus dans le pays. Ils mettent une partie de « la détérioration de l’environnement sécuritaire afghan » à laquelle on assiste aujourd’hui sur le rejet de cette possibilité. Même si Karzai a quitté son poste et que son remplaçant, Ashraf Ghani, a promis en 2014 de faire le nécessaire pour réprimer efficacement la corruption, le rapport de Sopko indique que sa réussite est à présent « un but générationnel ». Cette analyse fait écho à celle des anciens diplomates et généraux qui estiment que les pays donateurs auront besoin d’une génération de plus pour récolter les fruits de leurs efforts. Sopko insiste sur le fait qu’aucun recouvrement de biens financiers significatifs n’a eu lieu sous Ghani, et que le système judiciaire du pays subit toujours une pression politique considérable. Transparency International, dans un rapport datant de septembre dernier, ajoute que l’Afghanistan manque encore d’un « cadre légal détaillé pour prévenir, détecter et poursuivre la corruption », qui reste omniprésente dans ses institutions. Le groupe affirme que les agences de lutte contre la corruption du pays « ont eu peu d’occasions de se réjouir durant l’exercice de leurs mandats ».
Il y a quelques semaines, les dirigeants occidentaux présents à la conférence des pays donateurs, à Bruxelles, se sont mis d’accord pour engager 15 milliards de dollars d’aide supplémentaires en Afghanistan au cours des quatre prochaines années. Ils viendront s’ajouter aux 125 milliards de dollars d’aide que le pays a reçu de leur part depuis que les attaques de septembre 2001 ont été fomentées sur son territoire. Les donateurs ont signé conjointement un communiqué qui souligne que la corruption « reste un obstacle majeur au développement et à la stabilité du pays ». Malgré cela, ils saluent « les mesures prises jusqu’ici ». « Ils se retrouvent coincés et incapables de s’en sortir à cause de la culpabilité, de la pression et de la peur de ce qu’un effondrement de l’Afghanistan pourrait signifier pour leur propre sécurité », explique Heather Barr, chercheuse à Human Rights Watch. Elle dénonce le fait que les pays donateurs refusent de tenir responsables les dirigeants afghans pour leurs nombreuses promesses de réformes non tenues. On ne saura si les législateurs américains seront d’humeur à dépenser encore davantage dans cette affaire qu’après les élections de novembre.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « How We Bungled Nation-Building in Afghanistan », co-publié par le Center for Public Integrity et Slate.com. Couverture : Un convoi de l’armée américaine en Afghanistan. (US Army)
QUI PROFITE DES RESSOURCES NATURELLES DE L’AFGHANISTAN ?
Les promesses de la création d’un secteur primaire qui relancerait durablement l’économie afghane fleurissent depuis 2011. Alors pourquoi ne s’est-il encore rien passé ?
I. Des richesses convoitées
Avant de mettre un terme à son occupation de l’Afghanistan, l’Union soviétique avait découvert que le pays était riche en ressources naturelles. Dans les années 1980, des experts miniers soviétiques établirent des cartes et collectèrent des données qui restèrent inexploitées, oubliées dans les archives de l’Institut géologique afghane à Kaboul jusqu’à l’arrivée des talibans. Ces dossiers révélaient l’existence de grandes quantités de fer, de cuivre, d’or, de cobalt, de terres rares et de lithium dans le sol afghan. Redoutant ce que les talibans pourraient faire de ces richesses, un petit groupe de géologues afghans mirent ces cartes à l’abri chez eux jusqu’à l’arrivée des forces américaines en 2001. En 2007, l’Institut d’études géologiques des États-Unis avait déjà entrepris une étude détaillée des gisements de minerais présents dans le sol du pays. Une note interne du Pentagone affirmait que l’Afghanistan pourrait devenir « l’Arabie saoudite du lithium » – un composant essentiel des batteries de smartphones et d’ordinateurs. Ces découvertes rendirent fou de joie le gouvernement américain, qui affirma en 2010 qu’il y avait au bas mot 1 000 milliards de dollars de ressources n’attendant que d’être récoltées. « Il y a un potentiel incroyable ici », disait à l’époque au New York Times le général David Petraeus, alors à la tête du CENTCOM, le Commandement central des États-Unis. Les responsables américains affirmaient que les gisements pourraient donner un coup de fouet à l’économie afghane, générer des milliers d’emplois, faire reculer la corruption et réduire la dépendance du pays à l’aide internationale. Actuellement, alors que 60 % du budget national est assumé par des donateurs étrangers, l’investissement extérieur est crucial. Jugeant que le ministère afghan des Mines et du Pétrole serait incapable de gérer efficacement une industrie émergente, le gouvernement américain s’engagea à l’aider à mettre en place des mécanismes de reddition de comptes. Malgré cela, les efforts de régulation comme la loi minière – revue en 2014 pour une plus grande transparence –n’eurent que peu d’effet sur l’exploitation minière illégale et le défaut de paiement sur les redevances.