L’atome et la nature

Bad Gastein, dans les Alpes autrichiennes. Il est dix heures du matin en ce mois de mars froid et neigeux. Affublé d’un slip de bain, d’un peignoir et d’une paire de tongs, je me trouve dans l’entrée de la galerie principale d’une ancienne mine d’or. Serré dans un wagon, je m’apprête à me laisser conduire dans les entrailles de la montagne Radhausberg, le long d’un étroit chemin de fer de deux kilomètres de long.

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Le petit train
Crédits : Gasteiner Heilstollen

Quinze minutes plus tard, nous voici à destination. Je m’apprête à profiter des joies d’un environnement que les brochures publicitaires qualifient de salutaire. « Profiter » est un bien grand mot : dans ces tunnels mal éclairés enfouis sous la montagne, la température atteint les 40 °C et le taux d’humidité 100 %. Déjà, je suis en nage. Mais surtout, je suis en train de respirer de l’air riche en radon. Riche en… radon ? Mais c’est un gaz radioactif ! Et pourtant me voici, sans même un dosimètre passif, et encore moins la protection d’un tablier de plomb, entouré de personnes qui ont payé pour se rendre au Gasteiner Heilstollen, le « tunnel thérapeutique » de Gastein. De bonne grâce, avec enthousiasme même, elles endurent d’exténuantes séances thérapeutiques dans cet environnement inhospitalier, du fait d’une théorie très controversée qui voudrait que les radiations à faible dose ne soient pas seulement inoffensives, mais aussi bénéfiques pour la santé. Notre rapport à la radioactivité, à ses risques et à ses bénéfices, est compliqué. Nonobstant les délices de Gastein, il est même le plus souvent exécrable. Nous avons tous en tête les effets de l’arme nucléaire : le scénario apocalyptique d’un hiver nucléaire, les cancers et autres malformations congénitales provoqués par les radiations à haute dose. Des images de champignons atomiques sèment la peur dans nos esprits depuis 70 ans. Mais ce qui nous effraie le plus dans ces images, c’est ce que nous n’y voyons pas. Les menaces invisibles sont les plus déstabilisantes, et la radioactivité n’est pas quelque chose qu’on peut voir, ou contrôler. Il y a longtemps, un chercheur chevronné m’a avoué à quel point il aimerait pouvoir colorier les radiations en bleu. Si nous pouvions les voir, pensait-il, nous serions mieux à même de traiter la question en gardant la tête froide. Le culte du secret dans l’industrie nucléaire, premier utilisateur commercial de la radioactivité, n’a rien fait pour dissiper le malaise. Les industriels n’ont réalisé que tardivement que faire les choses à huis clos était le meilleur moyen d’alimenter les soupçons. C’est peut-être la raison pour laquelle tant de gens pensent qu’en-dehors des scanners médicaux, il n’est de salut qu’en l’absence totale de radiations.

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L’hôtel niché dans les Alpes autrichiennes
Crédits : Gasteiner Heilstollen

Les événements de 2011 au Japon sont un bon indicateur de notre sensibilité vis-à-vis de la radioactivité. À tous points de vue, le séisme de magnitude 9 et le tsunami consécutif qui se sont abattus sur le pays ont été des désastres sans nom. Ils ont provoqué la mort de 20 000 personnes et l’inondation de plus de 500 km² de terrain. Des familles ont perdu leur maison, leur commerce, leur travail. Il n’a pas fallu longtemps aux médias pour découvrir que la centrale nucléaire de Fukushima, frappée de plein fouet par le tsunami, figurait au rang des destructions. Le récit médiatique s’est alors métamorphosé, et ce qui était jusque-là perçu comme un événement naturel est brusquement devenu un désastre d’origine humaine. Un scénario glaçant a pris forme : celui de la catastrophe nucléaire. Sur les 20 000 décès recensés, certains sont dus au séisme lui-même, d’autres au tsunami. Quant au réacteur endommagé, combien de morts a-t-il occasionné ? Aucune. Dans sa section consacrée aux effets sanitaires de la tragédie de Fukushima, le rapport du Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements atomiques conclut : « Chez les travailleurs et dans la population générale exposés aux rayonnements à l’issue de l’accident, aucun décès ni aucune affection aiguë liés aux rayonnements n’a pu être observé. »

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Un réacteur endommagé
Crédits : IAEA

Les doses de radiations auxquelles le public a été exposé étaient généralement faibles ou très faibles, poursuit le rapport. « Dans la population générale et chez leurs descendants, aucun effet nocif détectable lié à l’exposition aux rayonnements n’est à prévoir. » Ne minimisons pas l’impact de l’événement. Trois des réacteurs nucléaires de la station ont subi des dégâts au niveau du cœur, ce qui a provoqué le rejet d’une grande quantité de matière radioactive dans l’environnement. On estime que douze ouvriers ont reçu de l’iode 131 à des doses qui augmentent le risque de développer un cancer de la thyroïde. Et 160 ouvriers ont reçu des doses susceptibles de faciliter la survenue d’autres cancers. Cependant, d’après le rapport, « une éventuelle augmentation du taux d’incidence dans ce groupe sera a priori indétectable, du fait de la difficulté de confirmer un taux aussi faible par rapport aux fluctuations statistiques normales du taux d’incidence des cancers ». En résumé, alors qu’une terrible catastrophe naturelle a provoqué la mort de plusieurs milliers de gens, l’attention du Japon et du reste du monde s’est focalisée sur un seul épisode de la tragédie, qui n’a pas fait de victime sur le moment. Il est possible que l’exposition aux radiations ait diminué l’espérance de vie des quelques personnes directement concernées. Mais les effets seront d’ampleur sans doute si faible qu’il se pourrait bien que nous ne sachions jamais s’ils sont liés à l’accident ou non.

Bad Gastein

L’accident de Tchernobyl, bien sûr, a été autrement plus grave. Un réacteur mal conçu, des consignes de sécurité défaillantes, une société bureaucratique obsédée par le secret : tels étaient les ingrédients du désastre. Le 26 avril 1986, c’est un contrôle de sécurité expérimental bâclé qui mit le feu aux poudres. Un des réacteurs entra en surchauffe et prit feu, avant d’exploser en propulsant une grande quantité de matière radioactive dans l’atmosphère. On fit évacuer 116 000 personnes, et 270 000 autres habitants de la région se retrouvèrent tout à coup en zone « hautement contaminée ». Voilà qui est déjà alarmant. Pour les 134 ouvriers affectés au nettoyage initial, ce fut encore pire. Ils reçurent des doses de radiations si élevées qu’ils développèrent des syndromes d’irradiation aiguë, rapidement fatals à 28 d’entre eux. Une peur disproportionnée naquit alors, du fait de la méfiance vis-à-vis des informations officielles et du bouche-à-oreille sur les conséquences terribles des radiations. Selon une rumeur qui circulait au lendemain de l’accident, quelque 15 000 victimes avaient dû être enterrées dans une fosse commune. Ce type de légende n’a pas disparu avec le temps : en 2000, une autre rumeur prétendait que 300 000 personnes étaient mortes irradiées des suites de la catastrophe.

« Il y a sans aucun doute eu une hausse des cancers de la thyroïde. »

La situation, bien que loin d’être anodine, n’était pas catastrophique à ce point. L’Organisation mondiale de la santé dépêcha un groupe d’experts afin d’évaluer les suites du désastre et ses conséquences futures en termes de santé publique. En se basant sur la dose moyenne de radiations reçue par les personnes évacuées et celles restées sur place, ainsi que par les milliers de liquidateurs qui durent nettoyer le site, le rapport conclut que le nombre de morts par cancer dans ces trois groupes n’augmenterait pas de plus de 4 %. Ces résultats ont été contestés à l’époque et le sont parfois encore, mais le gros des experts continue de se ranger derrière ces conclusions. « Il y a sans aucun doute eu une hausse des cancers de la thyroïde », commente James Smith, professeur en sciences de l’environnement à l’université de Portsmouth et coordinateur de trois projets internationaux de la Communauté européenne sur les conséquences environnementales de l’accident. « Les mesures mises en place par les soviétiques étaient insuffisantes pour empêcher les gens de consommer de la nourriture ou boire du lait contaminés, ce qui a particulièrement affecté les enfants », tempère-t-il. En d’autres termes, certaines morts auraient pu être évitées.

Quelles que soient les causes et les industries, toutes les morts sont regrettables et devraient être évitées. Mais le nucléaire est-il intrinsèquement plus dangereux que les autres formes d’énergie ? Dans une vaste étude publiée en 2002, l’Agence internationale de l’énergie a comparé le nombre de morts par unité d’énergie produite, pour différentes filières telles que le charbon, la biomasse, l’éolien et le nucléaire. Les calculs prenaient en compte toutes les étapes de la chaîne d’exploitation, de l’extraction du matériau brut jusqu’à sa mise en forme et son utilisation. Le charbon arrive ainsi en tête des industries les plus nocives pour la santé, et le nucléaire figure quant à lui en fin de la liste. Ce classement n’est pas très étonnant au vu des problèmes que posent les centrales à charbon, entre les dangers de l’extraction minière et la pollution atmosphérique. Pourtant, les morts liées à l’industrie du charbon ne suscitent ni la peur ni l’indignation que peut provoquer un accident nucléaire, alors même que le nuage sombre et suffocant des grandes villes asiatiques s’étale aux yeux de tous. Peut-être est-ce l’invisibilité des radiations qui conduit à un traitement exagéré des événements. L’intensité et le sensationnalisme de la couverture médiatique viennent confirmer et alimenter nos peurs.

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Le réacteur n°4 et son sarcophage

Parmi les gouvernements ayant réagi à la catastrophe de 2011 au Japon, le cas de Berlin est remarquable. Malgré son faible enthousiasme pour le nucléaire, l’Allemagne venait d’accepter récemment la nécessité de prolonger la durée d’exploitation de ses centrales. À la suite des événements de Fukushima, elle est revint sur sa décision. Les opposants à ce changement de politique en furent réduits à essayer de se rappeler quand leur pays avait connu pour la dernière fois un séisme de quelque ampleur, sans même parler d’un tsunami. Paradoxalement, bien qu’elle abrite certains des plus farouches opposants européens au nucléaire, l’Allemagne fournit une part importante des visiteurs de la clinique de Bad Gastein et de ses galeries riches en radon. Le tunnel de Gastein où j’ai passé mes 30 minutes réglementaires à respirer du radon peut accueillir une vingtaine de personnes. Elles étaient là pour profiter des vertus protectrices de l’atmosphère, ou dans l’espoir de soulager des maladies telles que l’arthrite rhumatoïde, l’asthme, les sinusites à répétition, le psoriasis. Simon Gütl, le médecin en charge le jour de ma visite, m’a parlé d’essais cliniques, de sondages qui attesteraient de la popularité de la cure, de patients qui réussiraient à réduire ou même interrompre définitivement leur traitement habituel. Je n’ai aucune idée de la qualité scientifique de ces données, mais j’ai été frappé par l’enthousiasme avec lequel certaines personnes partent en quête d’un phénomène naturel que la plupart des gens évitent comme la peste. L’un de mes compagnons de troglodytisme temporaire en était à sa 70e visite.

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Vous reprendrez bien un peu de radon ?
Crédits : Gasteiner Heilstollen

Christoph Köstinger est physicien de formation et dirige le Centre curatif du Gasteiner Heilstollen. Ils sont près de 9 000 patients, me dit-il, à suivre une thérapie complète à raison d’une séance par jour pendant deux à quatre semaines, et des centaines d’autres à suivre des modules plus courts. Il connaît bien les sentiments mitigés du public vis-à-vis de la radioactivité. « Je divise les gens en trois catégories », confie-t-il. « Ceux qui ont vraiment peur des radiations ne viennent pas chez nous. Ensuite, il y a les gens qui n’en ont pas peur et pour qui cela ne pose aucun problème. Enfin, il y a tous ceux qui sont un peu effrayés mais à qui on peut expliquer le rapport bénéfices/risques des radiations. » Köstinger a bien conscience de l’aversion générale des Allemands vis-à-vis du nucléaire. « Certains patients s’auto-convainquent en se disant que la radon est une source de radioactivité naturelle », explique-t-il. Il se presse de préciser qu’en tant que physicien, il sait pertinemment que la distinction entre radioactivité naturelle et radioactivité artificielle n’a aucun sens.

Le seuil

Quand je respirais du radon sur mon lit d’inconfort dans les galeries de Gastein, quelle quantité de radioactivité étais-je en train d’embarquer avec moi ? Très peu. J’ai passé un peu plus d’une heure dans la mine. D’après les calculs de Köstinger, les patients reçoivent une dose approximative de 1,8 mSv (millisieverts) au cours des trois semaines que dure le programme thérapeutique complet, soit environ 9 mois d’irradiation naturelle dans un environnement classique. Car, bien entendu, nous sommes tous exposés en permanence à de faibles niveaux de radioactivité ambiante.

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Bombardement de Nagasaki, le 9 août 1945
Crédits : Hiromichi Matsuda

En premier lieu, il y a les radiations cosmiques en provenance du soleil et des autres étoiles. Leur intensité dépend de l’altitude où l’on se trouve et des fluctuations du champ magnétique terrestre. Il y aussi des radiations en provenance de la Terre elle-même, dues notamment au radon. Là aussi, la géographie influe : certains endroits peuvent être d’importantes sources naturelles de radon, qui dégaze du sol vers l’atmosphère. Des substances radioactives solides contribuent aussi à la radioactivité naturelle, telles que l’uranium et le thorium présents dans la terre et la roche. Au cours d’une année, la dose moyenne de radiations naturelles absorbées est ainsi de 2,4 mSv. À titre de comparaison, cela correspond à environ 120 radios de la poitrine. L’essentiel de ce qu’on sait de l’effet des radiations sur le corps humain remonte aux bombardements de Hiroshima et Nagasaki – ce qui correspond à des doses beaucoup plus importantes. La Radiation Effects Research Foundation (RERF), une fondation nippo-américaine pour la recherche sur les effets des radiations, a étudié la santé de 100 000 survivants et de leurs enfants. Les résultats de ces recherches n’ont pas surpris grand monde. Pour tous les cancers à l’exception de la leucémie, ce n’est qu’au bout de dix ans après l’exposition qu’apparaît un risque accru. L’étendue de ce risque dépendait de la distance à laquelle se trouvait la personne du site de l’explosion, ainsi que de son âge et de son sexe. Par exemple, les personnes situées à 2,5 km encouraient un risque 10 % plus élevé de développer une tumeur. Dans le cas de la leucémie, c’est seulement deux ans après l’exposition qu’un nombre accru de décès a commencé à avoir lieu, avec un pic entre quatre et six ans. Les effets sur les enfants des survivants de Hiroshima et Nagasaki ont été plus inattendus. On avait supposé qu’ils seraient plus à même de développer des tumeurs malignes. Jusqu’à présent, ce n’est pas le cas. « Pour l’heure, nous n’avons pas détecté de surmortalité par cancer ou par d’autres maladies », explique Roy Shore, directeur de recherche à la RERF. Comme la plupart des cas de maladies vont se produire au cours des 30 prochaines années, il ne peut pas exclure entièrement l’hypothèse d’un effet tardif des radiations sur la génération suivante. En attendant, les résultats obtenus à ce jour sont un peu surprenants. « D’après les données expérimentales disponibles, sur des modèles animaux qui vont de la drosophile à la souris, nous nous serions attendu à trouver un effet », ajoute-t-il.

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Sur les lieux à Fukushima
Crédits : IAEA

De toutes les questions encore débattues sur les radiations, la plus controversée reste celle de la nocivité – ou des bénéfices, si les données du Gasteiner Heilstollen vous ont convaincu-e – des radiations à faible dose. Il y a deux écoles. Le point de vue qui tend à l’emporter se fonde sur le lien établi entre de hauts niveaux d’exposition et un risque accru de développer un cancer. Lorsqu’on trace un graphe à partir de ces deux grandeurs, on obtient une courbe croissante à peu près rectiligne. L’incertitude se situe dans le domaine des faibles doses : peut-on extrapoler la courbe, ou existe-t-il un seuil de radiations en-dessous duquel le risque chute brutalement ? « Pour des doses vraiment faibles, disons de l’ordre d’un scanner aux rayons X, il n’existe pas de données vraiment probantes qui iraient dans un sens ou dans l’autre », explique Shore. « C’est une question d’interprétation. » Pour sa part, il estime prudent de supposer qu’il n’existe pas de dose plancher : c’est l’hypothèse dite de linéarité sans seuil (« linear no-threshold », ndt).

« Je suis resté pendant la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas quelques radiations qui vont me faire partir. »

Le Pr Gerry Thomas, titulaire de la chaire de pathologie moléculaire à l’Imperial College de Londres, s’intéresse de près aux effets de la radioactivité. Comme elle le fait remarquer, les maladies dues aux radiations peuvent aussi résulter d’autres facteurs, de sorte qu’aux doses les plus faibles, il faudrait un très grand nombre de patients pour établir une relation de cause à effet. « De l’avis de la plupart des scientifiques, il n’existe pas de données permettant de conclure à un danger en-deçà de 100 mSv. » Pour autant, la plupart des autorités de sûreté nucléaire et leurs experts s’en tiennent à la première hypothèse, celle de l’absence de seuil. Les doses limites de sécurité sont calculées en fonction. Pour le Royaume-Uni ou la France, la limite maximale d’exposition du public est par exemple de 1 mSv par an – moins de la moitié de la dose moyenne de radioactivité naturelle reçue dans l’année. En ce qui concerne la clinique de Bad Gastein, Köstinger a adopté une position pragmatique. Il met en regard le risque engendré par les radiations à faible dose avec, selon ses termes, « l’effet scientifiquement prouvé » de la cure. « Il existe un risque potentiel dû aux radiations, mais même dans le pire des cas, celui-ci est minime en comparaison des risques occasionnés par les médicaments que prennent nos patients, et qu’ils sont en général en mesure d’arrêter de prendre », explique-t-il. « S’il y a un risque, nous pouvons faire avec. Si les recherches suggèrent qu’il existe réellement un seuil, pas de problème non plus. » Les radiations seraient ainsi loin d’être aussi dangereuses qu’on le pense en général.

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Est-il vraiment important que tant de gens aient une crainte infondée des radiations ? Après tout, nous sommes des millions à entretenir toutes sortes de peurs irrationnelles, que ce soit la phobie des araignées ou celle de l’avion. Nous faisons avec. La Terre ne s’arrête pas de tourner. Pourtant, les conséquences d’une peur excessive des radiations peuvent s’avérer préjudiciables à l’échelle individuelle. Tchernobyl et Fukushima sont, à ce titre, riches en enseignements. Le groupe d’experts de l’OMS chargé d’analyser les répercussions de Tchernobyl fait état d’un effet important sur la santé mentale et le bien-être des populations évacuées.

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La ville abandonnée de Pripyat, près de Tchernobyl
Crédits : IAEA

« Il y a de tristes histoires sur Tchernobyl, et plus récemment Fukushima, à propos de gens rejetés par leurs communautés d’accueil car considérés comme radioactifs ou contaminés d’une manière ou d’une autre », raconte Smith. « L’une des conclusions du rapport de l’OMS, c’est que les conséquences sociales et psychologiques de Tchernobyl ont été plus graves que l’impact direct des radiations. » Smith se souvient d’un homme qui pêchait dans un lac contaminé, à l’intérieur de la zone d’exclusion de Tchernobyl. « L’homme, qui refusait de quitter les lieux, m’a dit : “Je suis resté pendant la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas quelques radiations qui vont me faire partir.” » « On ne peut pas en être sûr, car tout cela est d’ordre statistique, mais il a sans doute pris la bonne décision. Bien sûr, il s’est exposé à un risque accru en consommant la nourriture locale contaminée, mais le risque encouru s’il avait été forcé de s’installer ailleurs et de changer de mode de vie aurait probablement raccourci son espérance de vie quoi qu’il arrive. » Les réfugiés de Fukushima ont été moins affectés que leurs homologues de Tchernobyl par les rumeurs fantaisistes, mais ils ont eux aussi eu à souffrir des conséquences d’une peur irraisonnée des radiations et de leurs effets sur la santé. D’après une enquête de 2012, un déplacé sur cinq présentait des signes de traumatisme.

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Prêts pour une cure de radon ?
Crédits : Gasteiner Heilstollen

Dans le wagon qui me conduit hors du tunnel thérapeutique de Gastein, je repense à cette idée de colorier les radiations en bleu. Par jeu, cherchant à me distraire de la moiteur ambiante, j’essaie d’imaginer ce que serait la vie si nous pouvions vraiment ressentir la radioactivité. Pas en la coloriant, mais par d’autres moyens. Imaginez que nos yeux puissent voir bien au-delà du spectre visible et détecter les radiations, qu’ils soient capables de les signaler au cerveau sous la forme de sensations visuelles, ou même auditives. Ou que notre peau évolue de façon à ce que nous puissions ressentir des picotements en présence de radiations. Mais la radioactivité est présente partout et tout le temps. Il serait très incommodant de la ressentir en permanence. Une alternative plus réaliste vient à l’esprit : imaginez des compteurs Geiger bon marché et universellement disponibles, de la taille de simples montres-bracelets. Très important : il faudrait qu’ils soient réglés pour ne sonner qu’au-delà d’un niveau de radioactivité aux conséquences épidémiologiques détectables. Les utilisateurs que la radioactivité rend nerveux pourraient alors avoir la surprise de ne jamais entendre leur compteur se déclencher. Et certainement pas lors d’un séjour dans les galeries du Gasteiner Heilstollen. Ni lors d’un scanner complet à l’hôpital. Ni même après une semaine de camping aux abords du cimetière de Tchernobyl. Mais est-ce que cela suffirait à les rassurer ?


Traduit de l’anglais par Yvan Pandelé d’après l’article « Is your fear of radiation irrational? », paru dans Mosaic. Couverture : La cure au radon de Bad Hofgastein.