Le nouveau maire
Lorsqu’il est devenu maire en 2010, Mitch Landrieu a arpenté la Nouvelle-Orléans et il s’est mis en colère. Les milliers de maisons abandonnées, en train de pourrir au cœur de la ville, cinq ans après l’ouragan Katrina ? Les milliers de terrains vides sur lesquels des mauvaises herbes de trois mètres de haut poussaient librement ?
Ça, c’étaient « les propriétaires se désengageant de leurs responsabilités, laissant au reste de la communauté le soin de nettoyer leurs saloperies », a tranché Landrieu.
Non pas que la ville n’ait rien fait depuis que la monstrueuse tempête l’a frappé en août 2005. De nombreux propriétaires de maisons et de commerces se sont attelés à la reconstruction. Les secteurs privés et publics ont aidé de nombreux habitants sinistrés à se réinstaller. Le gouvernement a acheté et rasé les biens immobiliers des propriétaires absents n’ayant aucune intention de revenir. Mais en dépit de ces efforts, la Nouvelle-Orléans était toujours en pole position de la décrépitude quand Landrieu a repris les rênes de la ville. Elle était en bien pire état que Detroit, Cleveland ou Baltimore.
Le nouveau maire a décidé qu’il était grand temps que les propriétaires contrevenants passent la vitesse supérieure, ou bien s’écartent de sa route.
« J’ai dit à mon équipe que nous devions visiter tous les coins des États-Unis où l’on règle ce genre de problèmes épineux », dit Landrieu. « Nous devions non seulement comprendre ce qu’ils faisaient, mais aussi pourquoi ils le faisaient. Ensuite, on importerait les meilleures pratiques chez nous. »
La ville a donc adopté, ou adapté des idées développées dans des villes comme Boston ou Philadelphie, des lignes téléphoniques directes pour signaler des cas de dégradations jusqu’aux études de marché aidant les urbanistes à mieux choisir dans quelles zones focaliser leurs efforts. La Nouvelle-Orléans a ainsi implémenté de nouveaux outils, l’un après l’autre : en créant une base de données à la pointe de la technologie permettant de suivre le statut de chaque propriété sinistrée ; en promulguant des lois qui permettent à la ville d’appliquer des mesures contre les dégradations en quatrième vitesse (du moins aussi vite que la bureaucratie le permet) ; et en ciblant des quartiers spécifiques qui, s’ils n’étaient pas sans soucis avant Katrina, étaient sur le point de sombrer totalement à cause de la criminalité et de l’instabilité auxquelles les dégradations ont contribué.
L’administration de Landrieu a atteint l’objectif qu’elle s’était fixée de démolir, réhabiliter ou réparer 10 000 des 44 000 terrains résidentiels dégradés de la ville au cours de son premier mandat, quand le programme d’éradication a été initié à l’automne 2010. Environ un an après le début de son deuxième mandat, le compteur était monté à 13 000 propriétés, d’après les élus.
« L’ouragan Katrina a été un événement effroyable », déclare Ryan Berni, l’adjoint de Landrieu. « Mais il a offert l’opportunité à la Nouvelle-Orléans de devenir le laboratoire de ce pays, un terrain fertile pour l’innovation et le changement. »
La lutte contre les dégradations urbaines a contribué à la récente recrudescence : la Nouvelle-Orléans a retrouvé 85 % de sa population pré-Katrina. La ville, fondue de gastronomie, compte désormais 1 400 restaurants, soit bien plus qu’avant Katrina. De nouvelles sociétés high-tech participent à diversifier l’économie. Le tourisme, cet employeur de masse, est bel et bien revenu en force : près de 9,5 millions de visiteurs y ont dépensé la somme record de 6,8 milliards de dollars en 2014, attirés par le carnaval de Mardi Gras, le New Orleans Jazz and Heritage Festival, le Sugar Bowl, les diverses conventions, les croisières en bateau et les très nombreuses soirées organisées chaque semaine dans les différents quartiers de la ville.
Pourtant, malgré tous ces progrès, la Nouvelle-Orléans compte presque autant de propriétés dévastées qu’avant Katrina. C’est la preuve que si les dégradations sont faciles à repérer, il est hélas bien moins facile de s’y attaquer.
Là où les reconstructions vont bon train, on trouve peu de logements à des prix abordables – les classes les plus modestes sont exclues du marché. Et les progrès sont extrêmement lents à venir dans nombre de quartiers très peuplés, historiquement décatis et au taux de pauvreté élevé, comme le Lower Ninth Ward – la communauté qui a fourni pendant Katrina les images iconiques des résidents sur le toit de leurs maisons submergées, faisant des signes frénétiques aux hélicoptères de secours.
Le quartier du Lower Ninth pouvait à une époque se targuer d’avoir le taux de propriété le plus élevé parmi les Afro-Américains de la Nouvelle-Orléans. Près de 18 000 personnes habitaient 5 400 maisons et appartements quand Katrina s’est abattu sur la ville. Seules 1 800 résidences y recevaient du courrier à la mi-2014. Ce chiffre indique qu’un grand nombre de gens ont recommencé leur vie ailleurs, et à quel point le quartier doit lutter pour se reconstruire depuis dix ans.
Certes, la fondation de Brad Pitt Make It Right a participé à la construction de cent logements colorés et futuristes dans le Lower Ninth, et elle compte en construire encore une cinquantaine. La ville a dépensé des dizaines de millions pour construire une nouvelle maison de quartier ainsi qu’une nouvelle caserne de pompiers.
Mais dix ans après l’ouragan, seules trois douzaines de résidences privées sont habitées le long des onze blocs que traverse par Flood Street dans le Lower Ninth, près de la maison qu’Harry Simms a rebâtie. « Il y avait des maisons tout le long de la rue », dit-il. « Regardez les dalles de béton. Il y avait une maison ici, une autre là, et encore trois autres juste à côté avant Katrina. »
Du doigt, il me montre une maison en ruines au coin de la rue.
« Vous voyez cette maison ? » me demande-t-il. « Elle n’a toujours pas été détruite. »
Il indique une autre structure sur Flood Street, vide et prête à s’écrouler. Les propriétaires ?
« Ils sont dans l’Ohio. »
La reconstruction
La Nouvelle-Orléans croulait sous les dégradations bien avant Katrina.
Une organisation à but non-lucratif avait préparé une étude pour remédier au problème, elle devait rendre son rapport le 1er septembre 2005. Katrina a frappé la Nouvelle-Orléans deux jours plus tôt, donnant lieu à davantage de dégradations dans davantage de quartiers. La population de la ville a dégringolé ; 105 000 maisons ont été l’objet de dégradations majeures et/ou sévères, voire carrément détruites.
Plusieurs des auteurs du rapport sur les dégradations ont contribué au développement de la stratégie voulue par Landrieu. Leurs objectifs étaient simples : « Préserver les maisons qui en ont besoin, détruire celles qui devaient l’être et veiller à la conservation des terrains vides », explique Jeff Hebert, qui a rejoint l’administration durant l’été 2010 et dirige désormais la New Orleans Redevelopment Authority.
Selon Hebert, la mise en œuvre était complexe : « Il nous fallait comprendre le marché immobilier et développer une stratégie de réaffectation afin de donner l’impulsion du renouveau. Et tout cela devait être contrôlé. »
Le Center for Community Progress, établi en janvier 2010 grâce au financement des fondations Charlotte Stewart Mott et Ford, a collaboré avec les élus de la Nouvelle-Orléans pour visiter et étudier les programmes mis en place dans des villes comme Cleveland, Boston ou New York.
À l’ordre du jour : comment comptabiliser efficacement les propriétés dégradées et suivre la mise en place des protocoles ? La tâche est plus complexe qu’il n’y paraît. Compiler les informations provenant de douze services d’urbanisme différents impliqués dans la lutte contre la dégradation urbaine a demandé de la rigueur, car il n’existait aucun lien entre eux. Personne ne savait ce que faisaient les autres.
Les efforts de reconstruction se sont concentrés dans les zones abritant les quartiers résidentiels et les couloirs commerciaux.
« 18 mois durant, nous avons lutté avec un système qui n’était pas conçu pour ce qu’on voulait faire », explique Oliver Wise, qui est à la tête du bureau Performance and Accountability.
Il leur fallait des récapitulatifs sur chaque terrain accessibles en un clic, présentant infractions, procès-verbal, dates d’audience et permis de construire. « On devait trouver une solution suffisamment innovante pour tirer une section de carte de la ville et disposer de données pour chaque propriété dans cet espace », ajoute Hebert, qui est également responsable des services de résilience de la ville, soutenu par le programme 100 Resilient Cities de la fondation Rockefeller.
Les élus de la Nouvelle-Orléans ont trouvé l’inspiration dans des logiciels de localisation découverts lors de leurs séjours d’enquête à Baltimore et Philadelphie. De retour au bercail, ils ont commencé à implémenter certaines spécifications à leur propre système de données terrain par terrain, fournissant les informations nécessaires à la lutte contre chaque étape de dégradation et permettant la création de standards de performance afin d’en mesurer l’efficacité. La ville a mis toutes ces informations ainsi que les rapports de progrès en ligne, reconnaissant la nécessité d’impliquer la communauté et de rénover la confiance branlante à l’égard le service public.
Les habitants peuvent suivre les mesures mises en place via BlightStatus, un portail en ligne conçu par un sous-traitant de Code for America ayant par la suite créé une société, Civic Insight, pour gérer spécialement le site. Il évoque des sites de livraison de pizzas à domicile, avec lesquels le client peut localiser sa commande, du four à la réception.
« Le public voit exactement la même information que les preneurs de décision ont sous les yeux pendant leurs réunions », déclare Oliver. « Il y a peu de villes à proposer ce service. »
La Nouvelle-Orléans a également emprunté l’idée du numéro d’appel 311 développé par la ville de Boston, une alternative non-urgente au 911 [le numéro d’urgence de la police aux USA]. Il permet aux habitants de constater les dégradations, et assure que leurs plaintes sont correctement transmises dans le labyrinthe de l’administration municipale. Les réunions mensuelles, surnommées BlightSTAT, auxquelles assistent les élus de chaque service public majeur de la ville, offrent également un forum de discussion au public.
La ville a embauché des agents supplémentaires pour répondre à l’accroissement du nombre de dossiers. Les données de la ville montrent qu’en 2014, ces derniers ont procédé à plus de 67 000 inspections et traîné 15 000 propriétaires devant les tribunaux. Les altérations apportées au système mis en place ont réduit de moitié – à 80 jours – le temps entre les procès-verbal et les comparutions. « Nous n’y serions jamais parvenus si nous ne nous étions pas appuyés sur ce système technologique », assure Hebert.
Les données ont joué un rôle déterminant en aidant les élus de la Nouvelle-Orléans à déterminer où accentuer les efforts de remise en état de la ville. Prenant exemple sur Baltimore, Pittsburgh et Philadelphie, la ville a commandé une analyse détaillée de chaque quartier.
L’étude, complétée en 2013 et prête à être mise à jour, expose les statistiques démographiques par quartier, les conditions socio-économiques, la densité de population, les taux de criminalité, les progrès en terme de reconstruction, le temps moyen pour la vente des propriétés, ainsi que le prix de vente de ces dernières.
Les chiffres ont permis d’identifier les quartiers où les crimes et la dégradation galopante menaçaient d’atteindre le point de non retour. Dans de pareils cas, les quartiers deviennent des cibles prioritaires pour les forces de l’ordre, et bénéficient d’incitations fiscales pour la réhabilitation ou la construction de logements à coût abordable.
« Ça nous a permis de mieux savoir où investir dans la ville, et ainsi de prendre des décisions plus adaptées », explique Oliver, le roi de la responsabilité civile.
Avec cette approche, le quartier de Central City, une communauté composée majoritairement de locataires, au taux de pauvreté approchant des 50 %, a été déclaré prioritaire. Décati et gangrené par la criminalité avant Katrina, les effets ont été décuplés par les inondations liées à la tempête.
Les efforts de reconstruction se sont tout d’abord concentrés dans les zones abritant les quartiers résidentiels, ainsi que les couloirs commerciaux comme le boulevard Oretha Castle Haley. Dans ce quartier très compact, près de 80 maisons ont été démolies depuis 2011, et plus d’une centaine de terrains ont été rasés depuis septembre, selon les informations fournies par le système. Désormais, la communauté a retrouvé 95 % de son taux de résidences pré-Katrina.
Le programme
Quartier : Freret Population : 1 774 habitants Revenu moyen : 36 215 $ Âge moyen : 33 ans
Le 4 avril, près de 20 000 habitants et touristes ont assisté au Freret Street Festival, qui célèbre la renaissance dans ce quartier résidentiel situé à l’est de Jefferson Avenue.
Avant Katrina, le quartier avait une réputation douteuse chez les étudiants de l’université voisine de Loyola, située à l’ouest de Jefferson Avenue. « J’avais pour habitude de dire à mes étudiants : “Ne traversez pas Jefferson. Il n’y a rien pour vous là-bas, que du crack” », raconte Kellie Grengs, une professeure d’arts plastiques.
Une résidence aux loyers abordables à Freret a poussé Grengs à traverser Jefferson en 2005, pour y vivre et développer un studio avec son mari, lui aussi artiste. Katrina a frappé huit mois plus tard, inondant les maisons et détruisant quasiment toute la zone commerciale.
Alors qu’elle vendait temporairement des œuvres d’art sur Freret Street dans une caravane fournie par l’État qu’elle surnommait le « studio FEMA », Grengs a participé à l’organisation de ce qui est devenu l’association des commerçants et propriétaires de New Freret. De retour à son domicile/studio depuis 2010, elle continue d’agir en tant que co-présidente du groupe.
La famille de Bruce Johnson a contribué au développement de Freret il y a de cela un demi-siècle. Pendant Katrina, lui et sa mère se sont retranchés à l’étage tandis que les eaux inondaient le rez-de-chaussée. Si les Johnson possédaient une bonne assurance et ont bénéficié d’aides de l’État, ils n’ont terminé les travaux de rénovation qu’en 2009. « Quatre ans avant que le quartier ne commence à revivre », dit-il.
Près de 4 000 maisons ont été détruites avec le programme de Landrieu.
Le quartier est construit autour d’une zone commerciale de huit pâtés de maison sur Freret Street, comportant quinze restaurants, deux salles de concert et vingt-six autres commerces, pour la plupart ouverts après 2011. « Les rénovations ne concernent pas que les rues et les habitations », explique Michael Casey, diplômé de l’université de Tulane en 2006 qui a ouvert le restaurant Liberty Cheese Steaks sur Freret Street en 2013. Il est également co-président de l’association pour les commerçants et propriétaires de New Freret. « Ça vous force à vous adapter, à rester inventif. Je crois que c’est la raison pour laquelle le dynamisme commercial cartonne tant dans cette ville. »
Les propriétaires qui sont revenus chez eux ont réalisé de nombreuses rénovations dans les maisons de Freret. Les investisseurs s’y sont mis eux aussi, réparant et faisant des profits. Certaines personnes ont eu accès à la propriété grâce au programme contre la dégradation urbaine.
Le revers de la médaille ?
« Il y a davantage de maisons qui ont été revendues que de familles à s’y être installées », explique Leslie Johnson, la femme de Bruce. « Les prix flambent… mais comment contrôler les prix du marché afin de permettre aux gens qui habitaient le quartier de s’y réinstaller ? »
Près de 4 000 maisons ont été détruites avec le programme de Landrieu, plusieurs centaines étant encore en attente. Mais la ville a également noué des partenariats avec des associations communautaires pour réparer plus de 500 logements habités par des propriétaires n’ayant pas les moyens de les prendre en charge.
« Il ne s’agit pas que d’aller détruire des maisons », raconte Berni, un proche conseiller du maire. « Vous devez avoir plus d’un outil à votre disposition. »
Un des outils les plus efficaces mis en place par la ville est un système agressif de nantissements et de saisies de biens.
Voilà comment il fonctionne : les pouvoirs publics déclarent insalubre une maison ou résidence. Si le propriétaire est déclaré coupable, ne fait pas appel de la décision et ne débute pas les travaux de restauration sous 30 jours, la ville décrète un nantissement. Si ce dernier n’est pas payé sous 30 jours, la ville décrète la saisie du bien, pour que les services du shérif le mettent aux enchères et qu’une tierce partie puisse l’acquérir afin d’y mener les travaux.
« Nous avons signé plus d’ordonnances de saisie que n’importe quelle autre ville », explique le premier adjoint au maire Andy Kopplin, qui a participé au développement du programme de lutte contre la dégradation urbaine. « Ça a retenu l’attention des gens. Ils ont commencé eux-mêmes les réparations de leurs biens, ou les ont revendus à des personnes qui pourraient le faire. »
La ville n’avait saisi que huit propriétés durant les cinq années suivant Katrina, sous l’égide du maire Ray Nagin. Avec le programme contre la dégradation urbaine de Landrieu, les chiffres se sont envolés : près de 2 000 biens – pour la plupart des propriétés destinées à la location, – ont été vendus ou sont en attente de l’être. Les prix des biens mis aux enchères ont doublé depuis l’année dernière, jusqu’à approximativement 800 dollars le m2.
Les contrevenants traînés devant les tribunaux ont réhabilité 3 500 propriétés. « Il s’agit d’un contrecoup positif à la dureté du système mis en place par les autorités », assure Ava Rogers, responsable du respect des pouvoirs publics. « Nous ne voulons pas faire main basse sur les maisons des gens, et nous ne voulons assurément pas les démolir : nous voulons qu’elles soient réparées. »
La ville a collecté près de 4 millions de dollars grâce aux ventes et nantissements de propriétés insalubres entre janvier 2011 et mars 2015. Elle a collecté plus de 1,8 million en amendes d’insalubrité en 2014, soit plus du double de ce que l’ensemble de la ville avait récolté en 2009, avant que Landrieu ne soit élu.
L’année dernière, le conseil municipal a voté une loi permettant aux terrains en friche d’être tondus sous 30 jours ; le processus prenait des mois, car la ville devait mener les propriétaires devant les tribunaux. Désormais, un agent des forces de l’ordre n’a besoin que d’afficher une notification comme quoi la ville compte débarrasser le terrain, si le propriétaire ne coopère pas.
Selon les données rendues disponibles par la ville, près de 600 terrains ont été tondus dans les six mois suivant le lancement du programme en septembre. Près de 20 % des propriétaires assignés ont réglé le problème d’eux-mêmes. La ville s’est associée à Covenant House – une association venant en aide aux jeunes sans domicile fixe – pour payer ses clients et aménager le reste.
« Nous avions besoin d’options rapides », déclare Rogers. « Nous ne prenons pas possession du domicile de quelqu’un, nous n’avons donc pas à lancer de longues procédures officielles. »
Le renouveau
Quartier : Lakeview Population : 6 593 habitants Revenu moyen : 73 936 $ Âge moyen : 33 ans
Il existe un dicton à la Nouvelle-Orléans : les inondations ne font pas de discrimination entre les riches et les pauvres. La communauté de Lakeview en est la preuve.
Ce quartier chic, à majorité blanche, se situe sur une péninsule faisant face au lac Pontchartrain, bordée par deux canaux. De nombreux habitants y ont péri durant Katrina, et sur près de 13 000 habitations, 7 200 ont été détruites ou sérieusement endommagées. Le quartier de Lakeview est arrivé en 2e position derrière le Lower Ninth Ward au rang des rachats gouvernementaux.
La reconstruction de Lakeview a été alimentée par les propriétaires, mais aussi par les promoteurs à la recherche du gain rapide, profitant de la hausse du marché générée par le programme contre le déclin urbain. Environ 70 maisons ont été démolies pour être reconstruites avec le nouveau programme, comme en attestent les données de la ville. Des dizaines d’autres maisons ont été réparées suite aux condamnations de leurs propriétaires.
Jesse Dean, venu d’Oregon, a acheté sa maison en janvier 2012. Il fait partie des nombreux nouveaux venus dans le quartier. « Il y a eu de nombreux efforts de faits contre la dégradation urbaine depuis qu’on s’est installé », raconte Dean. « Ils ont été bénéfiques. Cette zone a connu des reconstructions notables au cours des trois, voire cinq dernières années. »
Le renouveau du quartier de Lakeview montre que restaurer les maisons le long d’une rue donnée n’est qu’une partie du problème auquel est confrontée la Nouvelle-Orléans. L’état des rues elles-mêmes est effroyable. Les infrastructures vieillissantes et les eaux stagnantes (certaines zones de la ville ont mis des mois à être drainées) ont déformé les voies de circulation à travers toute la ville. Des centaines de kilomètres ont été réparés, principalement autour des axes commerciaux et des routes principales, mais de nombreuses voies privées sont encore en piteux état.
À Lakeview, où les maisons peuvent se vendre 400 000 dollars, des entailles le long des routes pleines d’ornières mettent en évidence que même les conducteurs les plus attentifs peuvent avoir de mauvaises surprises. Des panneaux de signalisation rouges martèlent le slogan : « Réparez nos rues. Nous payons nos impôts. »
La Nouvelle-Orléans vit dans le moment présent, mais elle mise son avenir sur l’exploitation de son passé, c’est-à-dire l’industrie du tourisme, bâtie autour du Quartier Français et de ses bâtiments érigés au XVIIIe siècle – qui ont survécu à Katrina presque indemnes.
Les cités HLM bondées ont laissé place à des co-propriétés abritant des communautés disparates aux revenus variables.
Comment passé, présent et futur doivent se rejoindre est le point central d’un débat concernant la sélection des bâtiments historiques à rénover ou à détruire, ainsi que du développement des quartiers et des zones où les reconstructions ne sont pas une si bonne idée.
La Nouvelle-Orléans a embrassé le XXIe siècle dans sa quête de renouveau. Des indices de performance modernes tels que la comptabilité, l’analyse, la recherche d’objectifs, la mesure de résultats et les ajustements basés sur les données collectées sont désormais en application à tous les niveaux administratifs de la municipalité, de l’élaboration des budgets et des marchés d’appels d’offres aux mesures de surveillance et d’aide aux sans-abris.
Cette volonté de résultats requiert aussi des méthodes plus artisanales. Par exemple, les responsables de la lutte contre la dégradation urbaine réclament des photographies de chaque terrain, mises à jour régulièrement afin de suivre les progrès et les détériorations. Sans ressources pour sous-traiter la mission, ils ont arrimé des appareils photo à des camions de pompiers, disposant ainsi d’une alternative à moindre coût similaire au Street View de Google.
« Nous mettons en application ce type de gouvernance », explique Landrieu. « Chacun est assis à la table, participe, en totale coopération, sans se braquer sur des points idéologiques. Il nous faut trouver des réponses. Il n’existe pas d’idéologie propre à réparer un nid de poule. »
Les cités HLM bondées ont laissé place à des co-propriétés abritant des communautés disparates aux revenus variables. Les écoles municipales sont devenues des écoles privées sous contrat. Le nouveau CHU en construction inclura un pôle de recherche biologique.
« C’est une toute autre atmosphère, continue Landrieu. Nous n’avons pas perdu notre identité. Nous avons bâti grâce à cette fondation. »
Le melting-pot évolue à la Nouvelle-Orléans, dont la population est estimée à 380 000 habitants en 2013 [hors agglomération]. La population noire compte pour 59%, contre 67% en 2000. La population blanche pour 31% en 2013, contre 27% en 2000. Le taux de population asiatique est monté à presque 3%. Les hispaniques sont bien plus nombreux que durant le recensement de 2000.
Le programme de lutte contre le déclin urbain de Landrieu est une des facettes du changement dans « la ville Croissant ». Il lui a donné de l’élan, et est symbole de progrès.
La Nouvelle-Orléans s’est fixée une date anniversaire pour prendre la pleine mesure de son développement : son tri-centenaire, le 7 mai 2018. La ville met tout en œuvre pour accélérer les efforts de rénovation et de construction avant la célébration.
« Avec un peu de chance, pour notre 300ème anniversaire, nous pourrons exprimer au peuple américain »nos remerciements pour les investissements auxquels vous avez consenti, et voici notre retour sur investissement », déclare le maire, tenu par la loi de ne pas employer un autre terme. Nous avons créé un standard et un modèle pour que l’Amérique puisse retrouver sa force, qu’elle puisse aller de l’avant. »
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Quartier : Lower Ninth Ward Population : 3 007 habitants Revenu moyen : 43 233 $ Âge moyen : 38 ans
Flood Street [la rue des inondations] scinde le Lower Ninth Ward en deux du nord au sud, où le terrain s’élève en approchant du fleuve Mississippi. La rue est représentative de la situation ici : la désolation persiste au nord, des progrès sont réalisés au sud.
La ville a démoli plus d’une vingtaine de maisons le long de Flood Street grâce au programme contre les dégradations, et près de 400 dans tout le quartier. Mais les maisons abandonnées sont encore légion, certaines toujours marquées du sceau des équipes de secours à pied d’œuvre durant Katrina : des informations en forme de X, comportant la date en haut, les dangers potentiels à droite, l’identité de l’équipe de secours à gauche, et le nombre de victimes en bas.
De nombreux propriétaires qui s’étaient acquittés de leurs prêts il y a longtemps déjà n’étaient pas assez bien assurés pour reconstruire le Lower Ninth. Le sort de plusieurs maisons de famille reste incertain, le temps de dénouer les droits de succession entre héritiers.
Les rénovations éparses dans de nombreuses zones du Lower Ninth Ward n’a pas motivé les investisseurs. Fonds de commerce et résidences manquent cruellement. La ville a proposé des crédits fonciers pour aider au développement des propriétés, dont certains sites où Make It Right avait construit. Mais le succès de l’opération dépend de la rentabilité des terrains contrôlés par la municipalité, afin de construire des logements abordables suffisamment rapprochés les uns des autres pour justifier un développement commercial et un attrait résidentiel, d’après les responsables.
Les permis de construire et les panneaux « à vendre » pullulent dans la partie sud du Lower Ninth. Les travaux d’infrastructure sont en cours. Une pharmacie de la chaîne CVS doit ouvrir prochainement.
Comme d’autres personnes qui ont reconstruit dans le Lower Ninth Ward, Harry Simms entretient son terrain sur Flood Street. Il tond également la parcelle voisine, ainsi que celle qui jouxte l’église baptiste où il va prier. Il apprend aux enfants à boxer sur un ring en extérieur qu’il a lui-même construit, entre sa maison et l’église.
Côté nord, Simms laisse entrevoir ses propres visions d’un espoir qui tarde à venir : une maison est en construction près de Flood Street. Pendant la journée, les gens passent devant en vélo, notant les adresses de propriétés qui présentent de bonnes opportunités de développement. Un vendeur de glaces vient d’ouvrir. Il s’agit du premier nouveau commerce ouvert près de chez lui depuis Katrina.
« C’est un nouveau départ, mon pote. »
Traduit de l’anglais par Gwendal Padovan d’après l’article « The Battle for New Orleans », paru dans Politico Magazine.
Couverture : La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina.