Quand les policiers d’Aspen ont fouillé la maison de Hunter S. Thompson à la fin du mois de février 1990, le monde du journalisme a pété les plombs. « HST » était accusé de possession de drogue et de dynamite, et soupçonné d’agression sexuelle après une nuit de beuverie et de défonce qui avait mal tourné.

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Mike Sager
Crédits : Twitter

Les éditeurs de Rolling Stone y ont vu une criante injustice : Thompson, l’inénarrable initiateur du journalisme gonzo, la légende vivante qui écrivait pour leur magazine depuis près de deux décennies, était forcément victime de l’entêtement de la police. Alors que le journaliste attendait son procès, les éditeurs du magazine ont missionné leur meilleur justicier pour raconter la vérité sur l’histoire. Mike Sager couvrait les affaires de drogue pour Esquire depuis le milieu des années 1980, et il n’avait pas encore 30 ans à l’époque où il s’est envolé pour Aspen, dans le Colorado, pour passer deux semaines avec Hunter S. Thompson. Dans « Le procès de Hunter S. Thompson », paru dans Rolling Stone en juin 1990, Sager célèbre l’homme exubérant, doux et sensible qui vivait selon sa devise : « Payons-nous du bon temps. » Dans cet entretien, Sager raconte les deux semaines qu’il a passées chez lui – « ou trois ? Je ne me souviens pas, tous ces moments se fondaient les uns dans les autres ».

De la coke au p’tit dej

Au moment de son arrestation, que représentait Hunter S. Thompson dans le monde du journalisme ?

Hunter vient d’une époque où les auteurs pouvaient être des célébrités. Écrivains et journalistes étaient les stars de cinéma et les showrunners d’aujourd’hui. Et Hunter était l’un de ces héros épatants. Il avait sa propre vision des choses, qui provenait de la tradition des écrivains « beat » et remontait même avant : il était en filiation avec William Burroughs, Henry Miller, Jack Kerouac, Paul Bowles, cette collection d’écrivains très concernés par la décadence. Thompson procède de cette tradition, mais aussi de celle de la presse écrite, à l’instar de Tom Wolfe et Gay Talese. Ils ont tous commencé comme auteurs de presse écrite. Et puis ils se sont retrouvés projetés dans l’âge d’or de la presse magazine américaine.

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Hunter S. Thompson en mai 1989
Crédits

Mais Hunter était différent. Hunter utilisait sa carte de presse comme un passeport pour vivre dans une autre dimension, pour faire de sa vie un carnaval sous acides. C’est comme s’il vivait dans une gigantesque boule de verre enfumée, à travers laquelle il pouvait entrevoir le monde extérieur, mais à peine. C’est la raison pour laquelle, avec l’âge, il a de plus en plus interprété ce qu’il voyait à des fins dramatiques personnelles. Et en même temps, il était capable de beaucoup d’empathie. Il voulait ressentir ce que les autres ressentaient. Il absorbait toutes ces expériences, au point de se prendre pour un autre et d’en jouer. Je pense que c’est comme ça qu’il est devenu ce personnage extrêmement bruyant, toujours plus vif et drôle.

Comment décririez-vous son style, au-delà du « gonzo » ?

Hunter S. Thompson reprenait les principes du journalisme littéraire – qui consiste à prendre les faits et leur appliquer des principes littéraires, tels que le décor, l’action, les personnages, les dialogues et les descriptions – pour les emmener plus loin. Il en faisait un drame à la première personne.

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Hunter S. Thompson dans sa maison d’Aspen
Crédits : Anita Thompson

Pour moi, il était comme un broyeur à viandes : il fourrait tout le merdier dedans, faisait tout mijoter à l’intérieur de lui et le produit qu’il recrachait était purement incroyable. À un certain moment, Hunter S. Thompson est devenu ce qu’il prétendait être sur le plan littéraire. Il a créé cette figure mythique qu’il a été incapable d’abandonner, en partie parce que ses reportages et son style littéraire étaient vraiment impressionnants.

Revenons sur son procès en 1990, et à l’article dont Rolling Stone vous a confié la rédaction. Comment cela s’est-il passé ?

Lorsque Hunter a été arrêté à la fin du mois de février et qu’on l’a accusé d’avoir commis cinq forfaits et trois délits, tout le monde a fait dans la grandiloquence. Et l’un des rédacteurs en chef de Rolling Stone lui a envoyé un fax : « On t’envoie Mike Sager, c’est l’un de nos meilleurs ! » Ce dont on l’accusait était assez ridicule. En plus de ça, on l’avait arrêté alors qu’il était au plus mal, difficile d’affronter ça… Je me souviens que la saison de ski était terminée à Aspen, donc j’ai sans doute dû aller là-bas en mars. Tout ce dont j’avais besoin, c’était d’un entretien avec lui, mais Rolling Stone m’a donné deux semaines.

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Aspen, Colorado
Crédits : aspenspin.com

Ils avaient tant dépensé pour ce magnifique petit hôtel quatre étoiles à Aspen… J’avais une voiture de location et, bien entendu, ils m’avaient fait partir en avion. Ça ne les dérangeait pas de dépenser de l’argent à l’époque, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais il faut ajouter deux choses, en toute honnêteté : tout d’abord, si on m’avait envoyé moi, c’était en partie parce que le rédacteur en chef voulait venir en aide à Hunter, et d’autre part parce qu’on jouissait d’une position privilégiée à l’intérieur de la maison de Hunter. Sans compter que Rolling Stone adorait emmerder la police. C’était quelques années après que Ice Cube a sorti sa chanson « Fuck the Police ». J’étais donc là-bas en tant que journaliste, mais je faisais un reportage sur un drame impliquant un collègue – collègue qui s’avérait être célèbre en plus de ça. Si ça s’était passé aujourd’hui, j’aurais fait des podcasts depuis sa salle de bain ! Et j’aurais fait les vidéos… Ç’aurait été un reportage vu de l’intérieur de l’Owl Farm, sa propriété d’Aspen. Ensuite, faire un reportage sur Hunter, c’était comme rendre visite au fantôme des Noëls pour le jeune journaliste spécialisé en littérature, en éthologie, et en drogues que j’étais à l’époque. Je voulais qu’il soit lui-même, et je voulais être moi-même le temps de faire mon reportage à ses côtés. Hunter gagnait sa vie en étant excentrique. Il pensait que son attitude de fouteur de merde conduisait à une forme de vérité. Ce qu’on apprend de Hunter, en tant que journaliste, c’est cette énergie-là. C’était génial pour moi. C’était une mission avec très peu de pression, et une formidable occasion d’aller chez lui et de traîner avec ce type dément. J’admirais réellement Hunter et son écriture, et à cause du procès et de tout ce qu’il traversait, j’ai senti que je pouvais lui être utile. Du coup, c’était mortel !

À quoi ressemblait une journée typique avec Thompson ?

Quoi qu’il veuille faire, je l’aidais – à faire des recherches, à se préparer… – tout en faisant mon reportage. Tout résonnait autour de nous, il y avait de l’électricité dans l’air, un sentiment d’effervescence, et en même temps de malaise et d’excitation.

Les jours se fondaient les uns dans les autres, et il buvait aussi pour amortir l’effet de la coke.

Je me souviens que quand je suis arrivé chez lui, il y avait des hordes de paons qui volaient et se posaient très haut dans les arbres près de la maison de Hunter. Ils braillaient tout autour, sous un ciel gris et nuageux… C’était incroyable. Je suis entré, le jour se levait, il se réveillait, il m’a tendu quelques grammes de coke. C’était le bon temps – quand la coke était brute et cristalline. Son mixeur ressemblait à une sorte de broyeur à herbe et transformait la coke en poudre. Je versais la moitié de la dose là-dedans et en faisais un tas, comme une congère. Et Hunter extrayait la substance, descendait, sniffait une ligne et la journée pouvait commencer.

36 heures de défonce

Chaque journée commençait avec la coke du matin ?

Les drogues étaient presque un rituel. Je faisais comme si j’étais son serviteur et il me traitait comme tel : « Voici la drogue, fais-le pour moi. » Tout était plus bruyant, plus rapide, plus drôle, totalement grandiose, comme dans un film. Une journée durait 36 heures. Je quittais sa maison à 3 heures du matin et j’étais là le lendemain à midi, pour commencer à m’occuper de différentes choses. Une nuit, Hunter tirait au pistolet dans le plafond. Une autre, il voulait juste un câlin. Après ça, je l’ai adoré. Mais ça, c’était après 36 heures de coke, de weed, de beuverie, à rouler des joints et à sniffer jusqu’à ce que je me crame la cervelle… Et il me donnait aussi quelques provisions, pour que j’en aie sur moi afin que je puisse rester éveillé. À cette époque, il écrivait trois rubriques pour le San Francisco Examiner. Et je me souviens qu’une fois il m’a donné trois paragraphes en me demandant des les remplir avec des mots appropriés pour qu’il puisse expédier sa rubrique le lendemain par fax. J’étais donc son assistant.

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Les paons de l’Owl Farm
Crédits : Anita Thompson

Mais, pour revenir à mon article, on ne s’est jamais vraiment assis et on n’a jamais fait d’interview en bonne et due forme. Il se levait, préparait le petit-déjeuner, commençait à grignoter quelque chose et à répondre aux fax. Après ça, les gens commençaient à rappliquer, et on servait davantage de nourriture… Il sortait les croquettes de saumon du congélateur, commençait plusieurs autres choses, terminait une chose puis en commençait une autre, ensuite il avait besoin d’un couteau mais le couteau était mal aiguisé, alors il commençait à l’aiguiser, et puis il démarrait un feu. Les jours se fondaient les uns dans les autres. Et il buvait aussi pour amortir l’effet de la coke. On buvait des bières et puis il décidait de préparer des margaritas, et c’était reparti, il envoyait des fax à nouveau… Je me souviens qu’une nuit, il a envoyé un fax énorme à sa mère. Il avait utilisé différents coloris, comme avec des crayons de couleur, sauf qu’un fax est noir et blanc et sa mère a répondu quelque chose comme : « Arrête de m’envoyer des fax, tu m’uses les nerfs. » Il était fou et espiègle à l’extrême, les gens s’arrêtaient pour passer le voir, on ne faisait rien d’autre que faire la fête toute la journée. On allait à l’aventure, on tirait sur n’importe quoi dans le jardin. Il aimait les armes, alors on sortait et on tirait sur une cible, ou sur des voitures qui traînaient dans le fond du jardin. Il avait aussi décidé que certains livres devaient être criblés de balles pour différentes raisons. Certains jours, nous descendions jusqu’à l’auberge de Woody Creek pour déjeuner. Une fois, nous avions une décapotable, il faisait très froid mais il voulait à tout prix conduire jusqu’à l’auberge. Là-bas, le déjeuner durait des heures. Il commandait tout ce qu’il y avait sur le menu, nous prenions des tonnes de boissons et les gens se joignaient à nous.

Avait-il beaucoup d’amis à Aspen ?

Quand j’étais là-bas, dès que les gens venaient au bar pour le saluer, c’était plus qu’un spectacle à lui tout seul. C’était vraiment un gars exubérant. Il entrait dans une pièce et ramenait tout plein de monde avec lui.

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La taverne de Woody Creek
Crédits : Matthew Trump

Il ne se déplaçait jamais seul, et à l’heure du déjeuner, des amis s’arrêtaient en passant, des gens en appelaient d’autres et tout ce monde rappliquait… C’était un fêtard qui ne s’arrêtait jamais. Partout où il allait, c’était Bacchus, le dieu de la teuf.

Quel souvenir avez-vous de tout ce temps passé avec lui, plus de 25 ans après ?

Pour moi, c’était vraiment irréel. J’ai été avalé par cet univers grandiose. C’est la vie plus plus plus quand vous êtes avec lui. Le bon journalisme a ces qualités, ce côté « plus fort, plus vif, plus drôle ». Et Hunter, bien sûr, en rajoutait. Il était payé pour être un fêtard, pour crier plus bruyant, toujours plus vif, plus drôle, et toujours plus bourré et défoncé. Tout le monde voulait lui ressembler. D’où cette impression d’un culte autour de lui, toujours présente aujourd’hui. Il était intelligent, il était drôle avec son entourage, mais il était aussi très gentil. Il s’autorisait à aller au-delà de ce que la plupart des gens responsables se permettent. Et il était payé pour ça. Sa vie est devenue son travail et son travail était sa vie. Tout était prétexte à raconter une histoire. C’est pourquoi, pendant cette période, je me suis autorisé à expérimenter cette même façon de vivre. Vous êtes privé de sommeil durant 36 heures, c’est comme un jet-lag, tout se mélange entre le printemps et l’hiver, se compacte et se fige dans le temps. Les paons braillent, le ciel est gris, Hunter est comme un lion en cage dans la chambre, s’occupant de tous ses trucs, et vous vous essayez juste de suivre le rythme. Tout en prenant de la drogue. Tout ça sans me perdre, mais en perdant de vue quelques temps la conscience qui est normalement la mienne au quotidien. Mais j’ai de l’empathie pour ce que Hunter S. Thompson a dû ressentir. Parce que tout était plus ou moins flou. Il percevait tout à travers le brouillard de son propre génie délirant. Et il y a une chose que j’ai appris d’Hunter S. Thompson, c’est de ne pas travailler en prenant des drogues dures ! Je ne suis vraiment pas Hunter S. Thompson… Je ne voulais pas vivre sur le fil du rasoir, je voulais vivre.

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Thompson et sa voiture rutilante dans son jardin
Crédits : Anita Thompson

Infotainment sous acides

À quoi ressemblait Rolling Stone à cette époque ?

Nous sommes en 1990. Hunter a 52 ans, j’en ai 34. J’avais écrit mon premier article pour eux en 1984 et j’ai commencé à travailler là-bas sous contrat vers 1987. Les bureaux étaient à New York, au 745 sur la Cinquième Avenue, dans un angle de Central Park. Sur tous les murs étaient accrochées les légendaires photos de John Lennon et Yoko Ono, sur lesquelles John est tout nu. La première fois que je suis allé là-bas, vers 1983, le rédacteur en chef s’appelait Jack Rosenthal. Sur le rebord de sa fenêtre, il y avait une bouteille de Jack Daniel’s et un espèce d’oiseau, un perroquet je crois. Ça a été mon premier contact avec Rolling Stone. En bas, il y avait l’imprimerie et tout ce qui se rapportait à la production du magazine. Des rumeurs couraient comme quoi il y avait des filières pour obtenir différentes substances à des heures diverses et variées. Je n’étais pas vraiment autorisé à aller là-bas, parce que je n’étais qu’un collaborateur et non un permanent de la maison. J’ai toujours été attiré par les histoires de drogues et de rue, les trucs sur lesquels il est marrant d’écrire. J’avais étudié Hunter S. Thompson comme écrivain. Il était comme un « Hell’s Angels ».

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La maison de Hunter S. Thompson
Crédits : Anita Thompson

Comment les éditeurs du magazine s’y prenaient-ils avec lui ?

Lui et moi avions le même rédacteur en chef à Rolling Stone, Bob Love. Comme je le disais, à cette époque, ça ne les dérangeait pas de dépenser de l’argent pour la rédaction ou les déplacements… Mais quand Hunter partait en déplacement, ses dépenses étaient exorbitantes. C’était un cirque itinérant à lui tout seul. Et le processus de correction des écrits de Hunter demandait beaucoup de temps. J’avais l’habitude de rester avec Bob Love dans son appartement sur l’Upper West Side et nous veillions jusque tard dans la nuit, à boire et faire la fête pendant qu’il corrigeait le texte de Thompson. Hunter aimait communiquer par fax, il vous envoyait un fax et vous lui en renvoyiez un. Bob devait alors faire du couper-coller. Hunter n’aimait pas réécrire ses histoires du début à la fin. C’est pourquoi il y avait beaucoup d’allers-retours entre lui, Bob Love et l’assistant de Hunter. Ce qui nous ramène au fait que Hunter n’était pas vraiment capable de vivre de façon autonome. Il était gentil et défoncé, il était accro à la drogue… Et tout le temps que j’ai passé à ses côtés, j’ai pris beaucoup de coke aussi.

Jusqu’à quel point était-il accro à la cocaïne ?

Hunter S. Thompson était accro à la drogue, mais ne vous méprenez pas, il avait un cœur en or, c’était une personne adorable. Je me souviens que quelques années après avoir écrit mon article pour Rolling Stone, le magazine Esquire a engagé Hunter pour écrire des articles. Ils voulaient remettre son style au goût du jour.

Hunter disait qu’il se fichait d’être ou mort ou vivant.

Une fois, ils ont envoyé Hunter dans un hôtel à New York pour écrire, et il se trouve que j’étais là-bas aussi pour travailler sur un article pour Rolling Stone sur le « Pape de l’herbe ». Et il avait carrément un service de livraison de première classe, avec des coursiers en bicyclette, des plans B… Et un jour, je reçois un coup de téléphone à 4 heures du matin. C’est le rédacteur en chef d’Esquire, il a une urgence : Hunter S. Thompson a égaré sa boulette de hasch et ils ont besoin de marijuana. J’ai passé un coup de fil au Pape de l’herbe et en moins d’une heure, un coursier en bicyclette était devant l’hôtel de Hunter.

Vous le décriviez comme une personne en bonne santé, qui allait plutôt bien.

Oui, il avait l’air d’être en assez bonne santé. Il avait 52 ans quand j’étais là-bas et il n’avait pas l’air malade. Aucun problème avec son nez. Les gens comme lui avaient l’habitude de beaucoup renifler ou de se moucher souvent. Pas lui.

Vous m’avez dit plus tôt que vous vouliez vivre, diriez-vous que Thompson n’avait pas de dispositions pour la vie ?

Qui sait ? Je ne peux pas dire. Hunter disait qu’il se fichait d’être ou mort ou vivant. Peut-être qu’il en avait assez de vivre avec certaines choses qu’il essayait de dissimuler. Sans compter les séquelles au cerveau… Juste avant qu’il meure, il y a eu une fête en l’honneur de Hunter à la Nouvelle-Orléans, où vivait son directeur littéraire. Il était en bas, et le bar de la fête en son honneur était à l’étage. Hunter S. Thompson était en fauteuil roulant et il ne pouvait pas aller à sa propre putain de fête.

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Hunter S. Thompson sur sa propriété d’Aspen
Crédits : DR

À son retour chez lui, il s’est suicidé. Et la façon dont il s’est suicidé… avec ses enfants et ses petits-enfants dans la maison. Cela témoigne d’un manque de discernement, son gamin qui l’a retrouvé tout éclaboussé de sang… C’est profondément, délibérément narcissique. Hunter s’était abandonné à l’enfant qui sommeillait en lui, on aurait dit que tout ce qu’il faisait était tiré d’un film dans lequel il jouait. Ça a fait couler beaucoup d’encre, et au final, ça l’a anéanti.

Qu’est-ce qui ferait la singularité de Hunter Thompson aujourd’hui s’il était toujours journaliste ?

Cette volonté qu’il avait d’y aller bille en tête et de s’impliquer était unique. Il gagnait sa vie en s’impliquant à fond, en donnant son opinion. Il faisait ce que fait Jon Stewart à la télé aujourd’hui. C’est les infos, mais pas vraiment les infos. C’est de l’infotainment.

Comment compareriez-vous l’infotainment d’aujourd’hui avec celui de l’époque ?

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Il aimait la drogue et les armes
Crédits : Anita Thompson

Vous savez quoi ? Le mot « infotainment » est devenu une horrible marque de fabrique. C’est synonyme de télé de merde. Ce que faisait Thompson, c’était de l’infotainment aussi… C’est devenu une horrible marque de fabrique, c’est tout. Il était vraiment délicat de porter un jugement sur la narration de Hunter car parfois vous ne pouviez pas savoir si c’était vrai ou bien si c’était inventé. Et beaucoup de ses histoires relataient ses déplacements dans différents endroits. Le journalisme d’aujourd’hui n’est pas aussi fantasque que le sien, mais il est aussi narcissique que celui de Hunter. Tant de choses sont fabriquées à travers la petite lorgnette de l’écrivain. C’est la culture du blog, où tous les articles commencent par « je ».

Où le verriez-vous donc aujourd’hui ? Chez Vice ou un endroit comme ça ?

Non, quand les mecs de Vice entendent un coup de feu, ils se planquent. C’est la différence. Hunter S. Thompson ne se planquerait jamais. Hunter S. Thompson, sortirait comme un imbécile de la tranchée et traverserait le champ de bataille. Le 30 mai 1990, toutes les charges retenues contre Hunter S. Thompson ont été abandonnées.


Entretien traduit de l’anglais par Simon Mauger. Couverture : Hunter S. Thompson à Aspen, par Louie Psihoyos.


LE RETOUR DU VRAI RICK ROSS

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1980. Guerre civile au Nicaragua, apparition du crack et d’un gamin de Los Angeles en quête d’avenir. Un concours de circonstances qui allait bouleverser l’Amérique.

Le vrai Rick Ross n’est pas un rappeur. C’est ce qui est écrit sur son T-shirt, élégamment sérigraphié en deux couleurs. Les lettres épaisses et noires font écho à son parcours. Chauve et barbu, il est encore surpris par l’intensité de son come-back. L’encre dorée a nécessité un second pochoir. Sur sa tête est dessinée une couronne tout juste déposée et, parfaitement aligné avec le O de son nom, le visage du caïd. Juste à côté apparaît sa signature : la marque flamboyante de l’homme qui, il fut un temps, gagnait plusieurs millions par jour en vendant de la cocaïne, mais qui n’a appris à lire qu’à l’âge de 28 ans, derrière les barreaux. C’est finalement par la lecture qu’il regagnera sa liberté. Par un matin ensoleillé du sud de la Californie, Rick Ross quitte son appartement exigu pour lequel il ne paie pas de loyer, et roule le long d’Ocean Avenue, le quartier chic de Long Beach. Il a des affaires pressantes à régler dans la ville ouvrière de Riverside, à une heure de route.

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Crédits : Blowback Productions

Il est le véritable Rick Ross, né Ricky Donnell Ross en 1960, l’un des trois Rick du quartier, celui qui vivait sur 87th Place, à l’endroit où la rue venait buter contre la Freeway 110, à l’ombre d’un pilier en béton massif. Il pouvait y sentir le sol trembler sous ses pieds, et l’endroit lui a valu son surnom : Freeway Rick Ross. Il ne s’agit pas du rappeur connu sous le nom de Rick Ross, ancien joueur de football américain, universitaire grassouillet et ex-gardien de prison, dont le nom de baptême est en réalité William Leonard Roberts II. Quand Roberts a débuté sa carrière musicale, il s’est approprié le nom et l’a fait tatouer sur ses phalanges : RICK RO$$. Il a bâti sa réputation en rappant sur un passé criminel fictif, tandis que le Rick Ross authentique, Freeway Rick Ross, emblématique au point de se faire voler son nom, était incarcéré à perpétuité dans une prison fédérale américaine, sans possibilité de remise en liberté conditionnelle. Après avoir poursuivi en vain le rappeur pour infraction à la loi sur la propriété intellectuelle devant plusieurs tribunaux, Ross a eu l’idée de créer ces T-shirts. Au cours des mois précédant notre rencontre, avec l’aide d’un gangster reconverti dans la sérigraphie, il en a imprimé cinq mille. Disponibles dans une large gamme de couleurs et de tailles allant jusqu’au 6XL, ces derniers sont méticuleusement pliés et emballés dans des sacs en plastique par son grand frère, dans un minuscule entrepôt dont Ross a réussi à se procurer la clé : un exemple parmi tant d’autres des petits arrangements  grâce auxquels il gère son portefeuille d’activités légales.

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Crédits : Freeway Social Media

Partout où il va, Rick Ross traîne derrière lui une valise défoncée pleine d’objets promotionnels. Ce, qu’il aille témoigner dans une église de quartier de l’Ontario, donner une conférence à des étudiants en droit de l’université de Californie du Sud ou faire une apparition lors d’une soirée open-mic à Inglewood. Il l’emporte également quand il va déjeuner chez Denny’s à Carson (il est végétarien, mais la chaîne de fast-food propose un garden burger), qu’il assiste à la fête d’un rappeur coréen qui le voit comme une légende du folklore américain, ou bien qu’il participe à une réunion dans les studios Warner Bros, à Burbank, ou dans les bureaux d’un vice-président d’Epic/Sony à Beverly Hills. Il ne se défait jamais de son large sourire quand il fouille parmi les paquets à la recherche de la bonne taille et de la bonne couleur. Prendre une photo en sa compagnie est gratuit. Et si vous n’avez pas les 20 dollars qu’il demande pour le T-shirt, il est plus que probable qu’il vous le cédera pour moins que ça. Dans l’euphorie du moment, face à la reconnaissance et l’admiration, il pourrait même vous en faire cadeau…

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