Il fait particulièrement chaud en ce lundi matin à Padoue, une petite ville pittoresque du nord de l’Italie, proche de Venise. Les clients n’ont pas encore envahi l’intérieur du Caffè Pedrocchi.
Giuseppe Salvatore Riina se tient devant l’entrée du café, dans son pantalon beige et son t-shirt blanc. L’homme de 39 ans a les traits typiques des jeunes Siciliens : il est plutôt petit, ses cheveux sont noirs et il a le teint olive. Son regard est masqué par une paire de lunettes de soleil, mais le reste de son corps est figé dans une posture qui n’inspire que la fierté. Il vit à Padoue depuis 2012, où il travaille comme secrétaire de Noi Famiglie Padovane, une organisation des services sociaux qui vient en aide aux toxicomanes, aux immigrants et aux personnes récemment libérées de prison. En Sicile, où il est né, on le connaît comme Riina Jr, ou « Salvuccio », le fils du célèbre boss de la mafia sicilienne Salvatore « Toto » Riina. Le père de Giuseppe est aujourd’hui âgé de 86 ans. Il était à la tête de la Cosa Nostra entre 1982 et 1993, l’année où il a fini par être arrêté et condamné. Nombreux sont ceux qui le considèrent encore comme le parrain de la Cosa Nostra, bien qu’il soit incarcéré et qu’il purge plusieurs condamnations à perpétuité pour ses crimes.
Sursis
Avec sa mère, Antonietta Bagarella, son frère aîné, Giovanni, et ses sœurs Maria Concetta et Lucia, Giuseppe vit caché depuis l’arrestation de son père. Il avait 15 ans à l’époque. La famille au complet se déplaçait à ce moment-là d’une ville sicilienne à l’autre sous un faux nom, vivant ce qu’il décrit comme un « jeu » dont les règles impliquaient que chacun d’eux joue un rôle précis pour éviter qu’ils ne soient repérés. En 1993, la famille vivait une vie « normale » à Palerme, se rappelle Giuseppe. « J’avais un groupe d’amis qui ignoraient notre vrai nom. Je passais beaucoup de temps avec mon frère, Giovanni, sur nos scooters ou au café. J’étais avec lui le jour où un ami a annoncé à tout le monde que Toto Riina avait enfin été arrêté. Il était surexcité par la nouvelle, mais il ne se doutait pas qu’il l’avait apprise à ses fils », raconte-t-il.
Ils vivaient comme des fugitifs et de ce fait, la fratrie n’allait pas à l’école. C’était leur mère, une ancienne enseignante, qui leur faisait la classe. Les enfants n’avaient jamais visité la ville natale de leurs parents, Corleone. Mais une fois démasqués, Antonietta Bagarella est retournée à Corleone quêter le soutien de sa famille, elle qui est aussi connue pour ses connexions au sein de la Cosa Nostra. Giuseppe a passé les neuf années qui ont suivi l’arrestation de son père dans la maison de sa grand-mère à Corleone, entouré par un réseau de relations mafieuses. Le frère de sa mère, Leoluca Bagarella, a été arrêté en 1995 et condamné à perpétuité. Bagarella faisait partie de la branche Corleonesi de l’organisation et s’est rendu complice de multiples crimes et meurtres au cours de ses quarante années au sein de la mafia. On le comparait souvent au boss, Riina, en raison de la cruauté de ses crimes. On dit qu’il aurait assassiné plus de 100 personnes, dont un enfant. En 1996, le frère de Giuseppe, Giovanni, a été arrêté et condamné à perpétuité pour avoir commis plusieurs meurtres et suivi les traces de son père au sein de la Cosa Nostra. En 2002, Giuseppe a été arrêté à son tour. Il avait 25 ans.
Il a été condamné à huit ans et dix mois de prison pour son association avec la Cosa Nostra. On l’accusait d’avoir repris le rôle de Toto Riina au sein de l’organisation. Des écoutes téléphoniques réalisées par la police anti-mafia ont fourni la preuve du rôle de Giuseppe Riina Jr en tant que chef d’une organisation criminelle, impliquant des mafiosi de Corleone et des entrepreneurs corrompus de Palerme, tous liés à la Cosa Nostra. Il a été relâché en 2011 et placé sous surveillance rapprochée jusqu’en 2014. Il purge aujourd’hui la dernière de ses deux années de sursis à Padoue.
La Belva
Au cours des derniers mois, Giuseppe a attiré l’attention des médias en Italie après la publication en avril de son autobiographie. Il y raconte la vie de cavale de sa famille, jusqu’à l’arrestation de son père. « J’avais besoin de raconter l’histoire de ma famille selon mon point de vue. Ce n’est pas mon boulot de juger les actes de mon père. J’ai écrit ce livre parce que je veux que les gens sachent qu’il a été pour nous un père exceptionnel », confie-t-il devant son café.
« Il a toujours clamé son innocence et je n’ai aucune raison de ne pas le croire »
Dans le livre, Giuseppe décrit Toto Riina sous un jour positif. Un père et un mari aimant, toujours là pour sa famille. Un portrait qui contraste radicalement avec celui de La Belva (la bête), que l’Italie a craint et dont elle a souffert pendant des années. Le commanditaire de meurtres dont la mémoire est encore fraîche en Sicile. Au cours de son demi-siècle d’activité criminelle au sein de la mafia, Toto Riina s’est d’abord fait connaître comme membre de la faction des mafiosi de la ville de Corleone, puis comme Capo di tutti i capi de la Cosa Nostra. Il a perpétré et ordonné de nombreuses attaques, ayant entraîné la mort d’au moins 60 personnes au sein de familles rivales et des autorités. Les meurtres ont atteint leur paroxysme au cours des années 1980 et 1990, quand plusieurs membres des familles rivales et des autorités ont été assassinés dans une tentative expéditive de mettre fin aux activités anti-mafias. Avant son arrestation, Toto Riina a ordonné l’assassinat de deux célèbres juges anti-mafias siciliens – Giovanni Falcone et Paolo Borsellino – en mai et juillet 1992, respectivement. Ils ont été tués dans des attentats à la voiture piégée, ainsi que la femme de Falcone et huit gardes du corps. Ces incidents comptent encore aujourd’hui parmi les attaques les plus brutales menées par la Cosa Nostra.
« Dans ces années-là, Palerme était plongée dans le chaos total. C’était comme de vivre au milieu d’une zone de guerre. Les sirènes de la police résonnaient constamment, et tous les deux jours on annonçait de nouveaux assassinats au journal », se souvient Giuseppe. Malgré cela, il voit les actes violents de son père sous un angle différent. « Il n’est jamais rentré à la maison avec du sang sur ses vêtements. Je n’étais pas là quand ces crimes ont été commis. Il a toujours clamé son innocence et je n’ai aucune raison de ne pas le croire », dit-il.
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LE FILS DU PARRAIN A-T-IL VRAIMENT RACCROCHÉ ?
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « What do you do when you’re born into the Italian Mafia? », paru dans Al Jazeera. Couverture : Le village de Corleone.