L’école La Boétie
L’école alternative La Boétie a ouvert ses portes à Toulouse en septembre dernier. Ici, les élèves évoluent dans un cadre familial, de la petite section de maternelle au CE2. Ils font une heure d’anglais tous les jours avec leur enseignante. Des intervenants extérieurs leur font découvrir l’informatique, la musique, le design, le chinois, ou encore la méditation. Mais ils suivent également le programme de l’Éducation nationale. Ce qui les distingue des autres élèves, c’est leur façon de l’assimiler. Notamment parce que ce sont eux qui choisissent leur matériel d’apprentissage, parce qu’ils ne sont jamais ni évalués ni punis, et parce qu’ils ne font pas de devoirs à la maison.
Ce n’est donc pas un hasard si la fondatrice et directrice de cette école alternative, Kim Lascurettes, lui a donné le nom de l’auteur du Discours de la servitude volontaire. Pour lui, « tout être pourvu de sentiment sent le malheur de la sujétion et court après la liberté ». Et « pour nous », affirme l’équipe pédagogique, « la liberté pour chaque élève d’apprendre à son rythme et d’avoir le libre choix de ses activités est essentiel à nos yeux. Cela va lui permettre de développer son autonomie et renforcer sa confiance en soi. »
Avant de fonder et de diriger l’école La Boétie, Kim Lascurettes a occupé les postes de formatrice consultante et de responsable de centres de formation. « Je me suis toujours intéressée aux méthodes pédagogiques, aux modes d’apprentissage, à la formation, mais plus particulièrement au système éducatif diplômant », dit-elle. « Le constat de ces dernières années m’a fait prendre conscience de certaines failles, qu’elles soient sociales et éducatives. En effet, le manque d’attention, d’accompagnement, d’écoute de la part du corps professoral et un rythme d’apprentissage qui n’est pas adapté à l’élève peut engendrer non seulement une démotivation et une situation de souffrance scolaire, mais aussi des répercussions sur l’équilibre psychoaffectif de l’élève. »
Mais où donc Kim Lascurettes est-elle allée chercher son inspiration ? En Finlande, dont le système éducatif est souvent considéré comme le meilleur du monde. « Le système éducatif finlandais répondait le mieux à nos valeurs éducatives. Ils sont sur une approche pédagogique holistique, c’est-à-dire qui ramène la connaissance du particulier, de l’individuel à celle de l’ensemble, plutôt que par l’approche traditionnelle de sujets restreints comme les mathématiques, l’histoire, la géographie… »
Et pourtant, les petits Finlandais se montrent aussi performants sur ces sujets que les élèves des systèmes éducatifs ultra-compétitifs des pays asiatiques. La Finlande se trouve en effet à la cinquième place de la dernière édition du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui évalue le niveau des élèves de 15 ans dans 72 pays tous les trois ans. Juste derrière Singapour, le Japon, l’Estonie et Taiwan. La France, elle, se trouve à la 26e place de ce classement alors qu’elle consacre presque autant de moyens que la Finlande à son système éducatif – 5,3 % de sa richesse nationale, contre 5,7 %. Quelles sont donc les raisons du succès du système finlandais ?
L’école finlandaise
Contrairement aux petits Japonais et aux petits Français, les petits Finlandais ne vivent généralement pas l’école comme un calvaire. Ils n’y vont qu’à partir de l’âge de sept ans et ils ne sont pas notés avant l’âge de onze ans. Les élèves ne reçoivent pour commencer que des appréciations et des conseils. Et, comme le notaient des parlementaires français dans un rapport d’information sur le système éducatif finlandais publié en 2010, « il est instructif de préciser l’esprit qui prévaut à l’évaluation de l’élève : il s’agit de l’évaluer par rapport à lui-même, à ses propres progrès et non par rapport aux autres. L’objectif n’est pas d’entretenir une compétition entre les élèves mais de les soutenir et de leur donner différentes possibilités d’apprendre, chaque enfant étant différent. L’objectif est aussi de permettre à l’élève de mieux se connaître, d’avoir confiance. »
Les élèves finlandais ne sont donc jamais comparés les uns aux autres. Mais comme le souligne une professeure des écoles française, Dominique Garoche, dans le journal Le Monde, « la palette d’activités manuelles et intellectuelles proposées » permet de toute façon « à chacun d’être valorisé dans un domaine ». « Les enfants bricolent et fabriquent énormément, ensemble, par deux ou trois, en s’entraidant », témoigne-t-elle après avoir séjourné à la Lauttasaari Primary School d’Helsinki dans le cadre d’un projet Erasmus +. Des espaces entiers y sont dévolus à la collaboration. Entre enfants, mais aussi entre adultes : « En Finlande, la coopération existe entre adultes et entre pairs. On ne peut pas apprendre aux élèves à coopérer si on ne le fait pas nous-mêmes. »
Dans une autre école de la capitale, piano, guitare et piles de déguisements côtoient un profond canapé. « Chez leurs parents, les enfants font souvent leurs devoirs dans le salon, ce canapé leur permet de retrouver les conditions auxquelles ils sont habitués pour se concentrer », explique l’enseignante, Maria Hukkanen, au magazine Challenges. Il y a pourtant très peu de devoirs à faire à la maison en Finlande. L’essentiel du travail se fait en classe, où les journées ne durent jamais plus de six heures, grâce à une pédagogie qui favorise l’autonomie. Les enseignants semblent néanmoins proches des élèves, et ils échangent avec eux de manière informelle. Dans la classe de Maria Hukkanen, par exemple, « tout est fait pour rendre l’apprentissage le plus ludique possible », remarque le journaliste de Challenges. « Jeux de piste pour découvrir les cinq continents, initiation à la physique grâce à de petits robots… »
Après onze ans, les notes ne vont jamais en dessous de 4 sur 10. Le « zéro pointé » n’existe donc pas en Finlande. Ni le redoublement. Il n’y a pas non plus de classes réservées aux élèves les plus en difficulté, lesquels bénéficient en revanche du soutien d’un enseignant spécialisé. Les classes sont d’ailleurs plus restreintes qu’en France, elles se composent d’une vingtaine d’élèves – plus facile dans un pays qui ne compte que 5,5 millions d’habitants. À seize ans, ces élèves ont deux possibilités : poursuivre des études générales au lycée, ou bien opter pour l’enseignement professionnel. C’est donc « à l’entrée au lycée que la sélection académique commence véritablement, même si compte tenu du caractère presque “sacré” de l’éducation en Finlande, il est difficile de parler de sélection ou d’élitisme dans ce pays », estime le rapport parlementaire français publié en 2010. Mais comment ce pays a-t-il réussi à mettre en place un système aussi exemplaire ?
L’école fondamentale
Dans la Finlande qui est annexée par la Suède au XIIe siècle, l’enseignement est dispensé par l’Église. En 1809, le pays devient grand duché de l’empire russe mais la réglementation scolaire russe n’y est pas introduite. Et ce n’est qu’en 1869 que la direction nationale des écoles finlandaise met fin à la domination de l’Église sur l’éducation. L’indépendance de la Finlande, elle, est acquise en 1917. Deux ans plus tard, le pays inscrit deux principes dans sa Constitution : l’obligation scolaire généralisée et la gratuité de l’enseignement primaire. En découle une loi rapidement mise en œuvre. Puis, en 1970, la Finlande fond le primaire et le collège en une seule école, « l’école fondamentale », qui s’adresse à tous les enfants et adolescents de sept à seize ans, et caractérise encore aujourd’hui son système éducatif.
Les élèves y apprennent au moins quatre langues : leur langue maternelle, le finnois ; la deuxième langue nationale, le suédois ; et deux langues étrangères. Les élèves issus de l’immigration peuvent en outre avoir accès à l’apprentissage de leur langue maternelle, sous réserve d’un nombre minimal d’élèves concernés. Car, comme le souligne le rapport, « les Finlandais considèrent qu’une bonne connaissance de sa langue maternelle aide au développement psychologique de la personnalité et valorise les racines culturelles de la personne concernée ». Leurs efforts dans la diversification des langues enseignées leur a en tout cas permis de prendre vingt ans d’avance sur les objectifs européens en la matière.
Mais ce qui distingue le plus le système éducatif finlandais sur le Vieux Continent est sans doute sa flexibilité : « Les lois sont très concises, elles définissent les objectifs de l’enseignement au niveau national et non les moyens de les atteindre. C’est ainsi, par exemple, que chaque municipalité a l’obligation d’organiser l’enseignement de base, mais elle est libre d’en définir les modalités. De même, chaque école peut choisir son matériel pédagogique ou la répartition des matières dans le cadre fixé par la loi. » Les chefs d’établissement sont très autonomes, et libres de d’associer leurs équipes à leurs projets pédagogiques.
Résultat, en Finlande, le métier d’enseignant est très attrayant. Il est aussi bien mieux payé qu’en France, et bien plus valorisé. Il est donc généralement choisi par les meilleurs étudiants et les plus passionnés. Aussi est-il difficile de condenser le succès du système éducatif finlandais en une recette miraculeuse. Et peut-être serait-il encore plus difficile de vendre cette recette. C’est néanmoins l’objectif que s’est fixé Marianne Huusko, nommée « ambassadrice pour l’export éducatif » par le ministère finlandais du Commerce extérieur et du Développement en septembre 2016. Pour elle, « le but ultime de l’export éducatif est d’augmenter le niveau d’éducation à travers les interactions avec les autres ». « Mais », dit-elle, « nous ne devrions pas être assez naïfs pour continuer à aider les autres par bonté d’âme. Après tout, l’objectif est d’atteindre croissance et succès dans les affaires. » Dommage pour les petits Français, les petits Japonais, et tous les autres.
Couverture : Une salle de classe finlandaise. (Finland.fi)