Mark Bowden est l’auteur du livre-référence sur l’ascension et la chute de Pablo Escobar : Killing Pablo. Il retrace au cours de cet entretien la traque du narcotrafiquant colombien par les forces conjuguées de la Police nationale colombienne et de la DEA, ainsi que par un mystérieux groupe de vigilantes aux mains du Cartel de Cali qui se faisait appeler « Los Pepes ».

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Un peintre colombien représente la mort d’Escobar
Pablo Escobar Dead
Fernando Botero, 2006

El Patrón

Comment Pablo Escobar est-il devenu le plus grand trafiquant de son époque ? C’est en partie dû au fait que le marché de la cocaïne a connu un boom dramatique à la fin des années 1970 et au début des années 1980. À l’époque, Pablo était déjà un baron du crime à Medellín, il se trouvait donc dans une position idéale pour augmenter la production de cocaïne et organiser un vaste réseau de distribution. Il est parvenu à prendre rapidement le contrôle de l’industrie parce qu’il était bien plus violent que la plupart des acteurs du business de la cocaïne de l’époque. Le marché était aux mains d’une sorte d’aristocratie en Colombie, qui s’engraissait grâce au trafic. Et Pablo était d’une nature plus brute et plus violente que ses concurrents. Il s’est fait une place au sein de l’industrie par la force, et c’est comme ça qu’il a fini par diriger toute l’opération. Mais Pablo ne désirait pas seulement devenir un homme riche et puissant, il avait aussi l’ambition quelque peu romantique d’être vu comme une figure nationale de premier plan. Il voulait que les gens l’aiment, il voulait devenir un leader colombien célèbre. Il avait une ambition sans borne et après avoir amassé une immense fortune, il a commencé à vouloir se mêler sérieusement des affaires politiques de la Colombie. Pensez-vous que c’est ce qui l’a tué ? Oui. Je pense que si Pablo s’était contenté de faire fortune et de diriger son trafic, il serait probablement encore vivant aujourd’hui. Mais au lieu de ça, il a commencé à tenter de se faire une place au sein du gouvernement et de se mêler de la vie politique du pays. Il s’est attiré les foudres du pouvoir colombien et des jeunes artistes et intellectuels du pays, qui étaient contre l’idée qu’un narcotrafiquant puisse obtenir un mandat politique légitime.

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Escobar n’aurait pas dû se lancer en politique

Quand est-ce que les États-Unis ont commencé à se dire qu’il fallait se débarrasser d’Escobar ? Les États-Unis tentaient de mettre fin au narcotrafic en Colombie bien avant qu’Escobar ne rejoigne la partie. Il n’était qu’un des nombreux patrons de cartels auxquels s’intéressaient les Américains. Mais ce qui a précipité l’implication totale des États-Unis dans l’affaire, c’est l’attentat qu’il a fomenté contre le vol 203 Avianca, à bord duquel il y avait un Américain. Pablo n’était plus seulement un narcotrafiquant richissime, il était soudainement devenu une menace terroriste. Comment en est-il arrivé là ? Escobar avait été élu comme membre du Congrès suppléant, et lorsqu’il a tenté d’avoir son siège au Congrès, il a été dénoncé publiquement par Luis Carlos Galán, une figure politique majeure du pays qui envisageait probablement de devenir le prochain président de la Colombie. Galán et d’autres s’opposaient à ce qu’un personnage comme Pablo Escobar soit convié dans les cercles du pouvoir étatique. Pablo, qui a littéralement été mis à la porte du Congrès, était fou de rage. Il s’est senti tellement insulté qu’il a commencé à s’en prendre physiquement à ses ennemis politiques – en les assassinant au besoin. Il est entré en guerre contre l’État colombien et la Colombie a riposté. Politiciens, juges et policiers sont devenus les ennemis officiels d’Escobar, ils ont rassemblé leurs forces pour l’arrêter. Mais Escobar avait suffisamment de ressources et d’hommes pour contre-attaquer violemment. Les choses se sont envenimées à tel point que, durant la campagne présidentielle, certains candidats ont été assassinés. Luis Galán étaient de ceux-là. C’est dans ce contexte que César Gaviria, qui avait été le directeur de campagne de Galán, s’est officiellement déclaré candidat. Et c’est dans une tentative de tuer Galán qu’Escobar a piégé le vol d’Avianca et tué tout le monde à bord. Mais au dernier moment, Gaviria n’est pas monté dans l’avion. Ce sont les Américains qui lui ont dit de ne pas monter à bord ? Non, ça c’est ce qu’ils montrent dans la série. Je ne sais plus exactement de quoi il retournait, il me semble que certains détails relatifs à la sécurité n’étaient pas réglés. En tout cas, ce n’est pas le fait de Steve Murphy, que j’ai très bien connu. Steve Murphy était un genre de super flic. Il faisait partie de la DEA et croyait très sincèrement en sa mission. Quant à Javier Pena, il était naturel pour lui de participer aux opérations de la DEA en Amérique du Sud étant donné ses origines – l’espagnol était sa langue maternelle. Il avait une longue expérience de la Colombie. Quand ils ont commencé à travailler à Bogota, leur job au sein de la DEA était très habituel, mais ils se sont retrouvés à jouer un rôle beaucoup plus important à mesure qu’a grandi l’intérêt des États-Unis pour Escobar.

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L’attentat du vol Avianca a tout changé

À quel point était-il populaire et d’où cela venait-il ? Il était extrêmement populaire. Pablo Escobar est devenu un genre de héros en Colombie, comme c’est souvent le cas des gens issus de milieux modestes qui s’élèvent contre l’establishment ou le régime autoritaire d’un pays. Ils s’attirent la sympathie des humbles. Escobar était un pur produit de Medellín. Pablo avait été élevé au sein de la classe moyenne colombienne. Sa mère était enseignante, son père avait du boulot, ils n’étaient pas pauvres et Pablo a reçu une bonne éducation. Il a grandi dans un environnement relativement confortable à Medellín, mais il n’en a pas moins commencé très tôt à tremper, non pas dans le trafic de drogue, mais dans la petite criminalité. C’était tout sauf un étudiant studieux, au grand dam de ses parents. Il avait rejoint une bande de garçons qui accomplissaient divers méfaits à Medellín. Quand il était tout jeune, ils ont même kidnappé un important propriétaire terrien et ont demandé une rançon pour le relâcher… À l’époque, il y avait beaucoup d’ambivalence au sein du pouvoir fédéral colombien, et une structure en classes tellement marquée qu’une bonne partie des habitants du pays avaient le sentiment que le gouvernement ne les représentait pas et qu’il n’avait pas leurs intérêts à cœur. Un type comme Pablo Escobar, qui défiait ouvertement le pouvoir en place, s’est logiquement attiré leur soutien. Pablo avait soif de pouvoir politique, il a donc investi une partie de sa fortune colossale dans des projets immobiliers pour les familles défavorisées de Medellín, des terrains de football, toutes sortes de gestes de générosité bien visibles qui lui attiraient la sympathie des gens de Medellín. Je suppose qu’une partie de ses actions étaient motivées par la réelle affection qu’il avait pour le peuple, mais d’autres étaient calculées, car il avait besoin de leur soutien dans sa campagne. Se lancer en politique est une des choses dont il avait toujours rêvé. Mais il faut comprendre que le trafic de drogue en Colombie avait une dimension politique à l’époque. Le pays s’enrichissait grâce à l’addiction des Américains et des Européens à la cocaïne. Aux yeux d’Escobar, la Colombie avait été laissée sur la touche de l’économie internationale et son peuple était oppressé par des structures de pouvoir organisées de manière à ce que les gens restent pauvres. Un produit comme la cocaïne pouvait donc être vu comme un moyen de réintégrer l’élite des pays riches et puissants du monde.

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Le jeune Pablo Emilio Escobar Gaviria

La cocaïne injectait des milliards de dollars dans l’économie colombienne et Pablo Escobar affirmait ouvertement qu’elle était un outil indispensable pour relever le peuple et la nation colombiens. Cela lui permettait de prétendre que ce qu’il faisait n’était pas un crime et qu’il s’agissait en réalité d’un geste patriotique. Le pensait-il vraiment ? Je pense qu’il était sincère. Mais ce n’était pas un intellectuel, il n’était pas très cultivé. Il avait une compréhension naïve et limitée de l’histoire colombienne, ainsi que de la politique et de l’économie mondiales. Mais il avait ressenti la colère du peuple. Je crois qu’il a utilisé ces arguments – de façon très cynique dans certains cas – pour se présenter comme un homme du peuple et comme un héros national car cela servait ses intérêts. Il voulait à la fois amasser une fortune colossale et devenir très puissant. Pour lui, ces deux choses allaient de pair. Ce à quoi il faut ajouter que le gouvernement colombien s’est allié avec les États-Unis dans sa tentative de mettre fin au trafic de drogue. Le simple fait qu’ils s’allient aux Américains a suffi à faire des narcotrafiquants comme Pablo Escobar des patriotes aux yeux des Colombiens, qui s’opposaient à l’existence d’un gouvernement corrompu et manipulé par les États-Unis. C’était la façon dont les narcotrafiquants voyaient les choses et la façon dont ils étaient vus par les Colombiens. Comment un homme qui n’était pas un grand penseur, comme vous dites, peut devenir une des dix personnes les plus riches du monde ? Forbes l’avait classé 7e homme le plus riche du monde en 1989. Grâce à la cocaïne. C’était devenu un produit tellement lucratif que Pablo a fini par étendre son pouvoir et sa fortune bien au-delà de ses rêves les plus fous. Je pense que ses ambitions ont grandi à la mesure de son succès. Ce n’était pas quelqu’un d’idiot, et il était indéniablement très doué pour faire marcher ses affaires, même s’il s’agissait d’un business difficile. Mais il savait ce qu’il faisait. Pour autant, ses vues sur la politique, le droit, l’histoire de son pays ou le rôle de la Colombie dans le monde n’étaient pas très intéressantes, et il avait une façon très cartoonesque de se comparer à Simón Bolivar.

La traque

Parlez-nous de la relation d’Escobar avec les groupes de guérilleros révolutionnaires. Elle était désastreuse, car l’un des moyens de subsistance des FARC et de l’Armée de libération nationale (ELN) – les deux organisations rebelles colombiennes de l’époque – était de kidnapper de riches Colombiens. Il se trouve que certains des Colombiens les plus riches étaient les narcotrafiquants et ils s’en prenaient à leurs familles. Quand la série de kidnappings a commencé, Pablo Escobar a mis sur pieds les autodefensas, qui sont devenus plus tard un groupe paramilitaire extrêmement violent en Colombie. Les choses ont dégénéré et une guerre a commencé les rebelles des FARC et de l’ELN. Je ne pense pas que Pablo avait vu les choses arriver, mais lorsque les hostilités ont commencé, il était sur le pied de guerre pour organiser ses hommes et combattre les guérilleros responsables de ces enlèvements.

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Pablo Escobar et son fils devant la Maison-Blanche

Le pays était-il si violent avant l’arrivée d’Escobar ? La violence était très présente en Colombie depuis les années 1940. Il y a toute une période qu’on appelle La Violencia, durant laquelle les partis politiques étaient en guerre les uns contre les autres. La Colombie dans les années 1950, 1960 et 1970 était déjà un endroit très violent, et je pense que l’essor de l’industrie de la cocaïne n’a fait qu’empirer la situation, notamment parce qu’elle permettait à des criminels comme Pablo Escobar de constituer des armées privées et de disposer d’un véritable arsenal, assez importants pour affronter les autorités aussi bien que leurs propres ennemis. C’est pourquoi Escobar a pu littéralement entrer en guerre contre le gouvernement. Quand le degré de violence à Bogota et dans d’autres endroits du pays est devenu insoutenable, le président Gaviria, sous la pression et malgré ses réticences, s’est résolu à accepter de transiger avec Pablo Escobar : le narcotrafiquant devrait plaider coupable pour un crime mineur et il serait mis en prison pendant deux ans. Mais on lui a permis de construire sa propre prison, dont les gardes étaient ses propres hommes. C’était une vaste blague. Mais cela a néanmoins mis un terme aux violences entre les narcotrafiquants et le gouvernement. L’accord a cependant fini par être rompu car Pablo continuait à diriger son trafic depuis l’intérieur de la prison. Et il y exécutait des gens qui l’avaient trahi – du moins dont il avait l’impression qu’ils l’avaient trahi. Le gouvernement était dans un tel embarras qu’ils ont pris la décision de le transférer dans une véritable prison. Mais Pablo s’est échappé et il a repris sa guerre contre le gouvernement. C’est à ce moment-là que le gouvernement colombien a donné toute latitude aux Américains pour les aider à le retrouver et le tuer, ou l’arrêter. Comment cela s’est-il passé ? Durant plusieurs mois, un groupe de vigilantes du nom de Los Pepes a assassiné de nombreux partenaires d’affaires de Pablo Escobar. Ils ont fini par l’isoler jusqu’au point où il fuyait de maison en maison à Medellín avec un ou deux de ses associés. Avec l’aide des États-Unis, la police nationale colombienne a formé une équipe de recherche qui a appris à utiliser des systèmes de traçage électronique perfectionnés. Lorsque Pablo Escobar passait un coup de fil depuis son téléphone cellulaire, ils pouvaient localiser l’endroit où il se trouvait, bien plus efficacement que ce qu’Escobar l’imaginait. Le jour où il a été tué, il est resté longtemps au téléphone avec son fils, pour mettre une stratégie au point et discuter avec lui. L’un des membres de l’équipe de recherche, qui conduisait dans les rues de Medellín avec l’appareil, a réussi à localiser la provenance de l’appel. La police nationale colombienne a agi assez vite pour surprendre Escobar chez lui. Il a été abattu sur le toit de la maison dans laquelle il se cachait, alors qu’il tentait de s’enfuir.

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Pablo Escobar en tenue de révolutionnaire mexicain

Comment les choses ont-elles évolué après sa mort ? Le trafic de drogue a continué. Les patrons du cartel de Cali, une autre organisation majeure du narcotrafic colombien, a appris des erreurs d’Escobar : ils ont appris comment soudoyer les hauts fonctionnaires, comment mener leurs activités illégales sous le radar, et surtout à ne jamais s’en prendre à l’État lui-même. Les gens qui s’enrichissent grâce au trafic de la cocaïne, aujourd’hui encore, en Colombie et partout ailleurs, ne défient pas directement le gouvernement. Ils le corrompent activement. La situation bénéficie aux deux parties. Pourtant, on a vu dans des endroits comme le Mexique, où certains des leaders de cartels sont des sortes de Pablo Escobar d’aujourd’hui, sans être aussi riches ni aussi puissants, se lancer dans une guerre ouverte contre  l’État. Ce qui se passe dans certaines villes du Mexique de nos jours est une réminiscence de la guerre des narcos en Colombie d’il y a 20 ou 30 ans. Ces criminels sont si riches qu’ils peuvent s’offrir des armées et des milices privées, et qu’ils ont les moyens de mettre à mal le pouvoir collectif de leur pays. C’est un immense problème. Est-il possible d’en venir à bout ? Je pense que le seul moyen pour mettre un terme au problème du trafic de drogue serait de réformer en profondeur la législation sur la drogue en Amérique du Nord et en Europe, pour qu’on ne traite plus l’abus de drogues comme un délit criminel mais comme un problème de santé publique. Adopter une telle approche est la seule façon, à mes yeux, de réduire la valeur des drogues illicites en circulation. Cela finirait par affamer et tuer les grandes entreprises du narcotrafic qu’on connaît sous le nom de cartels. Est-ce que c’est ce qu’il se passe avec la légalisation progressive de la marijuana aux États-Unis ? Ça commence à arriver, oui. Je pense que notre approche du problème de l’addiction était jusqu’ici extraordinairement à côté de la plaque. De mon point de vue, le fait que les gens soient attirés par les amphétamines, les hallucinogènes et toutes les drogues qui altèrent leur conscience pour les faire se sentir mieux fait partie de la nature humaine. Je ne crois pas qu’on puisse en changer cet aspect. Si on criminalise cette activité et qu’on fait d’une drogue un produit illégal, comme nous avons pu le faire avec l’alcool aux États-Unis pendant la Prohibition, on provoque une inflation de sa valeur marchande, à tel point que les gens préfèrent risquer d’avoir des ennuis avec la loi pour pouvoir l’acheter et la revendre, jusqu’à créer des organisations souterraines extrêmement riches et puissantes qui posent un véritable problème à l’État. Pensez-vous qu’il serait souhaitable de procéder de la même façon avec des drogues plus dures ? Je pense que cela fait partie des choses qui ont l’air plus difficiles à faire qu’elles ne le sont en réalité. Bien sûr, je ne pense pas que légaliser les drogues éliminerait complètement les problèmes liés à la drogue, comme pour l’alcool. Mais en faisant cela, on fait ensuite face à d’autres problèmes. Des problèmes de santé publique – c’est un challenge très différent. Mais si le but est d’anéantir ce vaste marché international de la drogue, il faudra d’abord cesser de la considérer comme un produit de contrebande. ulyces-escobarbowden-04


Traduit de l’anglais par Tancrède Chambraud et Nicolas Prouillac d’après l’entretien réalisé par Arthur Scheuer.  Couverture : Pablo Escobar en plein discours.


J’AI INFILTRÉ PENDANT 18 MOIS LE CARTEL DE MEDELLÍN AU TEMPS DE PABLO ESCOBAR 

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Robert Mazur, alias Bob Musella, a blanchi l’argent du cartel colombien tout en enquêtant pour l’US Customs Service. Il raconte son histoire incroyable.

Les propos ayant servi à réaliser cette histoire ont été recueillis par Arthur Scheuer au cours d’un entretien avec Robert Mazur. Les mots qui suivent sont les siens.

I. L’infiltré

Je viens d’une famille italo-américaine pauvre, et nous vivions dans un quartier pauvre de Staten Island, à New York. Le premier appartement dans lequel j’ai habité comportait trois chambres. Quatre familles y logeaient : mes grands-parents, les deux sœurs de ma mère, moi, mon frère, mon père et ma mère. Mes parents travaillaient très dur, mon père cumulait deux ou trois emplois à la fois. Ils désiraient plus que tout aider leurs enfants à avoir une meilleure vie que la leur. Déjà à l’époque, leur objectif était de nous tenir éloigné de la mauvaise graine du quartier dont j’ai plus tard, en tant qu’agent infiltré, prétendu faire partie. Ils tenaient à faire de mon frère et moi les premiers membres de la famille à entrer à l’université. C’est arrivé. Nos économies étaient maigres quand j’ai fait mes premiers pas à la fac, et j’avais besoin d’un job pour payer mes livres. J’ai décroché un entretien par l’intermédiaire de l’université me permettant de devenir ce qu’ils appelaient un étudiant « coopté » au sein d’une organisation. Il s’agissait d’une unité spéciale de l’IRS. À l’époque, on l’appelait la « division du renseignement », c’est elle qui s’était chargée de monter le procès d’Al Capone. Une fois engagé, je travaillais deux jours par semaine, le week-end et l’été. Mon rôle se limitait à porter les valises des gars, je n’ai rien fait de très important et je n’ai traité aucun dossier.  Je faisais des photocopies, de la retranscription d’entretiens, je n’étais pas sur le terrain. Un des dossiers les plus importants concernait Frank Lucas, le plus gros trafiquant d’héroïne de Manhattan. Nous étions chargés de poursuivre la banque au sein de laquelle il blanchissait de l’argent. Ironie du sort, son nom était la Chemical Bank, la « banque chimique ». ulyces-mazurinfiltre-01 Les courtiers de Lucas avaient pour habitude de se pointer à la banque avec des sacs pour récupérer du cash. J’ai commencé à m’apercevoir que pour suivre les mouvements du crime organisé, il fallait suivre l’argent car il conduit toujours à ceux qui tiennent les rênes de l’organisation criminelle, à qui les billets appartiennent. Sitôt diplômé, ils m’ont offert un boulot. J’ai bossé sur des affaires assez importantes avant d’être transféré en Floride, où l’on m’a intégré à un groupe de travail avec les agences de douanes américaines. Quelques temps après, j’ai accepté de devenir agent des douanes. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à mettre tout en œuvre pour traduire en justice les patron du cartel de Medellín car nous étions en Floride, en pleine zone de guerre. Des massacres étaient commis dans les supermarchés, où des types se tiraient dessus à l’aide de mitrailleuses au beau milieu des rayons. Mon équipe tentait d’identifier les donneurs d’ordre et les blanchisseurs d’argent. Je suis arrivé à la conclusion que le meilleur moyen de le faire était d’infiltrer le système plutôt que de suivre la trace de l’argent a posteriori, ce qui n’est pas toujours possible. Je me suis donc porté volontaire pour devenir un agent infiltré pendant une longue période.

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