Les propos ayant servi à réaliser cette histoire ont été recueillis par Clémence Postis au cours d’un entretien avec Rod Cassidy. Les mots qui suivent sont les siens.
Sangha Lodge
Ma vie a toujours été guidée par ma passion pour la nature et les animaux, par le souci de préserver leur environnement naturel. J’ai grandi en Afrique du Sud, à Capetown. Je ne viens pas vraiment d’un milieu favorisé, nous vivions avec ma famille dans un minuscule appartement. Malgré tout je me souviens qu’à 13 ans déjà, j’aimais observer les oiseaux et m’occuper des animaux de la maison. Je ne sais pas d’où me vient cette passion. Ni de mes parents, ni de ma famille. Elle est arrivée de nulle part, elle a toujours été là et ne m’a jamais quitté.
Après le lycée, tous les Sud-Africains devaient passer deux ans dans l’armée. À mon retour à la vie civile, ma famille n’avait pas les moyens de m’envoyer à l’université – et pour être honnête, je n’étais pas assez doué. J’ai commencé à travailler en tant que technicien dans mon seul domaine de compétences : l’ornithologie. J’ai participé pendant plusieurs années au programme Antarctique de l’université du Cap et j’ai fini par me rendre là-bas en voyage de recherche. Un beau périple, bien loin de chez moi ! J’ai ensuite intégré le Muséum du Transvaal de Pretoria, où je travaillais sur les oiseaux et les petits mammifères. En 1982, j’ai commencé à organiser des voyages d’observations ornithologiques pour arrondir mes fins de mois, et jusqu’à 1989, je cumulais deux jobs : un la semaine et un autre pendant mes vacances et mes jours de repos. J’emmenais les touristes observer les oiseaux au Zimbabwe, en Namibie et en Afrique du Sud. Puis quand Nelson Mandela est sorti de prison en 1990, j’ai compris que l’avenir s’éclairait pour les Sud-Africains et qu’il était temps que je me mette à mon compte. J’ai quitté mon travail au musée et je suis devenu voyagiste à plein temps. J’organisais des excursions ornithologiques dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie jusqu’au jour où une agence de voyage m’a contacté pour organiser des séjours d’observations de primates au Gabon. Lorsque j’organisais des safaris, le leitmotiv était toujours de préserver la nature et d’y sensibiliser les gens grâce au tourisme. J’étais constamment à la recherche de nouvelles destinations à découvrir et à faire découvrir. Je suis venu pour la première fois en Centrafrique en 2004. J’ai trouvé le pays tellement attractif et riche de possibilités touristiques que j’en ai fait l’une des destinations principales de mes voyages organisés.
En 2008, j’ai entendu parler d’un vieux relais de chasse abandonné à Sangha-Mbaéré. Il avait été construit au début des années 1990 et servait d’abri aux chasseurs qui venaient tuer des buffles et des bongos pour en faire des trophées. J’ai contacté les propriétaires et leur ai racheté le relais pour en faire une auberge. Il a nécessité beaucoup d’aménagements. Les clients viennent en petits groupes. Parfois, il s’agit même d’un seul client très riche. Nous avons agrandi le relais et construit d’autres bâtiments pour l’adapter à des groupes de touristes standards (de huit à seize personnes).
Tous les bâtiments sont en bois et construits selon des plans de maisons traditionnelles centrafricaines. Tout le bois vient de la région : à l’époque où nous avons commencé les travaux, il y avait une scierie en activité à proximité. Pour le reste, nous avons utilisé du bois recyclé. C’est ainsi que nous avons ouvert Sangha Lodge, une auberge en pleine nature et proche des parcs nationaux, qui offre l’opportunité de faire de magnifiques excursions. Je suis né en Afrique et j’y ai grandi, c’est pourquoi malgré tous mes voyages autour du monde, c’est ici que je me suis installé. Lorsque je quitte la Centrafrique, c’est uniquement pour aller en Afrique du Sud et vice versa. Avec le Sangha Lodge, je possède un véritable morceau de paradis sur Terre. Lorsque je m’assieds sur la terrasse, je contemple notre potager et notre verger, remplis de papayes, d’ananas, de goyaves, d’avocats, de mangues, de bananes… Puis je porte mon regard un peu plus loin sur la forêt où vivent les gorilles, les éléphants, les pangolins, ainsi qu’une multitude d’oiseaux et de singes… Le bassin du Congo est extrêmement vaste, mais où que vous soyez aux abords du fleuve, tout est pareil. Les paysages, les oiseaux, les animaux… Ici, c’est différent.
Au sud se trouve la forêt du bassin du Congo. Au nord, à une quarantaine de kilomètres seulement, c’est la savane. La route pour y parvenir est bordée par une rivière, des collines et derrière elles de hautes montagnes. À l’est s’étendent des clairières à pertes de vue, de grands espaces où se retrouvent les éléphants, les bongos et bien d’autres animaux, très différents de ceux qui peuplent le bassin du Congo en République du Congo ou au Gabon. C’est cette beauté qui m’a attiré ici et m’a convaincu de rester. Le développement touristique de la Centrafrique a commencé dans les années 1990, quand la WWF a lancé le premier programme de tourisme – qui est toujours en cours. Les possibilités sont multiples et nous tentons d’en développer davantage. Certaines personnes ne restent ici que trois nuits, ce qui est suffisant pour aller voir les gorilles et les éléphants à Dzanga Bai. Cet endroit a quelque chose de magique. Certains de nos visiteurs vont même camper dans la forêt avec les Bakas, qui les initient à la pêche au filet. Ils peuvent observer des éléphants comme jamais auparavant et des gorilles à moins de sept mètres d’eux. Il y a tout ici. Des oiseaux fantastiques, des paysages merveilleux et même une excellente auberge !
Un coin de Paradis
Peu de gens en Centrafrique et à Sangha-Mbaéré comprennent l’importance de la préservation de la nature et du tourisme. Sensibiliser prend du temps. Mais les habitants prennent conscience de l’importance de préserver forêt. Ce n’est pas suffisant hélas, les compagnies d’exploitation forestière embauchent davantage et sont plus attractives que les organismes de préservation de l’environnement.
Les gens d’ici mangent de la viande de brousse tous les jours et quasiment rien d’autre hormis du poisson. Ils vivent depuis toujours grâce à cette nourriture et je ne pense pas que cela changera un jour. Néanmoins, nous discutons avec eux de leurs pratiques et nous les incitons à faire preuve de plus d’empathie pour les animaux. Certains peuvent être mangés mais pas d’autres, en fonction du nombre de spécimens. Le Sangha Lodge se situe dans une zone protégée mais hors du parc national. Lorsqu’on se promène dans la forêt, on voit peu d’animaux car ils sont chassés par la population locale. Ils sont bien là, mais ils se cachent des êtres humains. Nous élevons également des animaux au Sangha Lodge. Nous avons sauvé de nombreux pangolins et recueilli trois bébés duikers. Des bouchers les avaient capturés et ils les ont amenés pour nous les vendre comme nourriture. Nous les leur avons achetés et nous avons pris soin d’eux. À présent, ils vivent dans la forêt et se laissent approcher facilement. L’un d’eux sort de la forêt le matin et le soir : il court vers nous pour réclamer des caresses, puis fait demi-tour et disparaît jusqu’au lendemain. C’est assez incroyable. Quand ils assistent à ce genre de scènes, les gens changent automatiquement de façon de voir les choses, ils prennent vraiment conscience qu’il s’agit de créatures vivantes et pas juste de viande. Avec les pangolins par exemple, certains ont changé leur alimentation pour arrêter d’en manger. Ce sont des créatures si douces… travailler à leurs côtés développe une véritable empathie envers eux.
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Chaque jour, je me lève à l’aube pour m’assurer que tout est prêt à la cuisine. Je répare le générateur s’il y a un souci, je vérifie la pompe à eau, je m’assure avec le staff que tout va bien sur le domaine et que tout fonctionne normalement. Les touristes arrivent généralement par avion ou par bateau en milieu d’après-midi. Le premier jour consiste surtout à se repérer dans le parc et à se reposer. Le lendemain, leur premier vrai matin à l’auberge, ils se lèvent aux aurores et vont à Dzanga Bai, la clairière où les éléphants se réunissent. Elle se trouve à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau de Sangha Lodge. Mais en réalité, le trajet en voiture prend au mieux plus d’une heure. À Dzanga Bai, on peut observer entre 20 et 200 éléphants, même si en règle générale ils sont autour d’une cinquantaine – ce qui est déjà énorme. Les visiteurs peuvent également apercevoir des bongos – une chance sur trois pendant la saison sèche et une sur six pendant la saison des pluies – et des buffles, sans oublier les potamochères, les hylochères et parfois des singes.
Le deuxième jour, ils vont observer les gorilles à Bai Hokou, une réserve située au centre de la forêt. Le trajet pour y arriver est long, mais ils peuvent ainsi observer des gorilles de très près. Il faut généralement une heure et demie pour trouver un groupe de gorilles, puis on les suit pendant une heure. Les mangabeys se joignent généralement aux festivités. Nous encourageons désormais les gens à partir à la recherche d’oiseaux et notamment du picarthate, un oiseau rare de la forêt vierge. Le troisième jour, les visiteurs passent du temps avec les Bakas, qui leur font découvrir leur mode de vie en forêt et les initient à leur technique de pêche ancestrale. Mais ça, c’était avant la crise qui a frappé le pays.
En temps de guerre
Nous savions tous qu’un coup d’État se préparait. Tout a commencé en 2012, lorsque la Seleka – une coalition de partis et de rebelles opposés au président François Bozizé – s’est constituée et a commencé à faire route vers Bangui. Le pays a sombré dans la crise à partir de cet instant et l’intervention des Nations Unies et de l’Union africaine n’a fait que retarder le coup d’État au 23 mars. Nous savions ce qui allait suivre. Le 23 mars 2013, la Seleka a attaqué Bangui. L’assaut a marqué le début du coup d’État et notre fréquentation touristique a fondu comme neige au soleil. Tous les expatriés ont quitté le pays le 24 mars. Nous sommes restés deux heures de plus après que la décision a été votée. Cette nuit-là, nous avions décidé de rester, mais tout le monde nous a suppliés de partir : comment nous protéger si la Seleka arrivait au village ? Nous sommes partis sans rien, sans argent. Nous avons foncé vers Brazzaville, au Congo, et nous avons fait halte dans un parc national voisin. Tous ceux qui travaillait pour WWF et qui vivaient en Centrafrique s’y étaient réunis, mais nous ne pouvions pas attendre là-bas. Nous n’avions pas assez d’argent pour attendre. Nous avons donc poursuivi notre route et nous sommes finalement rentrés chez nous, en Afrique du Sud.
Dès notre arrivée, nous ne désirions qu’une chose : rentrer à Sangha-Mbaéré. Mais nous devions attendre que la situation se calme et que l’ordre revienne. Durant les mois d’avril et de mai, rien n’a bougé et nous étions toujours coincés en Afrique du Sud, à ruminer notre frustration. J’ai téléphoné à un ami mauritanien qui était resté en Centrafrique et il m’a dit que je pouvais revenir. La Seleka était toujours présente, il y avait eu quelques incidents, mais rien d’insurmontable. Pourquoi les expatriés ne rentraient pas en ce cas ? Nous n’en savions rien. Et en ce qui nous concernait, nous n’avions pas assez d’argent pour faire demi-tour. Nous avons donc attendu. Au début du mois de mai, une faction soudanaise de la Seleka a investi la réserve et a tué 26 éléphants de Dzanga Bai. Nous sentir aussi impuissants était un calvaire. J’ai multiplié les conférences de presse pour tenter de sensibiliser les gens aux problèmes que rencontraient le parc et ses animaux sans protection. Nous vivions chez des amis en Afrique du Sud. Un soir, d’anciens clients suédois m’ont invité à dîner. Ils ont pris de mes nouvelles, m’ont demandé comment les choses se passaient pour moi et pour l’auberge. Ils m’ont dit qu’ils s’étaient réunis pour discuter de la situation. « Nous avons tenu un conseil de famille. Il faut que tu y retournes, mais nous savons que c’est l’argent qui te retient. » Et là, ils m’ont tendu un chèque de 10 000 euros. Ils voulaient vraiment que je rentre. Ils m’ont donné de l’argent, mais plus que tout, ils m’ont donné la force de rentrer.
Les Anti-balakas ont tenté de nous extorquer de l’argent mais je les ai affrontés.
Nous sommes retournés en Centrafrique le 10 août 2013. Un guide chargé de la sécurité avait été engagé par la WWF et était arrivé en même temps que nous. Tamara, le guide, Louis Sano et moi étions les seuls expatriés du village. Nous survivions comme nous pouvions. Nous avons négocié avec la Seleka. Ils ne nous ont jamais menacés. Aussi étrange que cela puisse paraître, ils se montraient cléments envers les expatriés. Ils ont extorqué pas mal d’argent à la communauté locale en revanche. Puis soudainement, ils ont disparu et les Anti-balakas sont arrivées, ces milices d’auto-défense formées par les paysans centrafricains. Ils donnaient la chasse aux musulmans. C’était une période terrible. Les Peuls, les Bororos et leur bétail se jetaient sur les routes par milliers. On les voyait sur le bord des routes ou descendre la rivière en bateau. Il y avait parfois jusqu’à 200 réfugiés sur des embarcations pouvant accueillir 60 personnes. Les Anti-balakas ont tenté de nous intimider et de nous extorquer de l’argent, mais j’ai résisté. Lorsqu’ils sont venus à Sangha Lodge pour nous racketter, je ne les ai même pas autorisés à monter les escaliers de l’entrée. Je leur ai tenu tête et au final, ils m’ont même proposé de les prendre en photo ! Je ne suis pas un vieillard, mais je suis beaucoup plus vieux qu’ils ne l’étaient. C’étaient des gamins. Alors quand j’ai parlé avec une sévérité inflexible, ils se sont attendris.
Certains musulmans avaient probablement participé au mouvement de la Seleka, mais la majorité d’entre eux n’avaient rien fait. Ça a été une période cruelle, la pire de toute ma vie. La crise a fini par prendre fin et les Anti-balakas n’avaient rien à gagner à rester à Sangha-Mbaéré. Ils ont disparu à leur tour. Depuis, nous sommes en paix.
Prédire l’avenir
Ce qu’il se passe aujourd’hui en république centrafricaine me fait penser à la première fois où j’y ai posé les pieds, en 2004 – l’année où Bozizé a pris le pouvoir. Le pays était agité et les routes n’étaient pas sûres. D’un point de vue touristique, la situation est très similaire, car personne ne venait en Centrafrique à l’époque. Mais même si nous avons peu de clients, nous avons gardé le même nombre d’employés et continuons à travailler d’arrache-pied. Nous agrandissons l’auberge, nous rénovons la laverie, la cuisine, tout… De toute façon, nous n’avons pas assez d’argent pour être payés à ne rien faire !
Trois ou quatre personnes sont parties, soit parce qu’elles sont allées vivre à Bangui, soit parce qu’elles ont choisi d’autres voies. Mais nous les avons toutes remplacées. Si nous ne le faisons pas, c’est un aveu de faiblesse face à la crise qui frappe le pays. Nous faisons tout pour que la vie ait l’air de suivre un cours normal, même si c’est loin d’être le cas. Les conséquences de la crise pour les animaux auraient pu être bien pires. À Dzanga Bai, une centaine d’éléphants se réunit chaque jour. Après les braconnages qui ont eu lieu, les animaux avaient peur du bruit et des humains. Mais ils n’ont pas mis longtemps à avoir de nouveau confiance, une fois le site sécurisé. Les éléphants ont été les premiers à revenir. Les animaux étaient chassés auparavant, mais la première chose que la Seleka a fait en arrivant, c’est de confisquer toutes les armes à feu : ils ne voulaient voir personne avec un fusil.
Pendant la période Seleka, il y a eu de ce fait beaucoup moins de chasse et de braconnage. La Centrafrique vit véritablement au jour le jour et nous tachons de nous en sortir. Nous avons espoir que le tourisme connaisse une nouvelle phase de croissance jusqu’à la prochaine instabilité. Le pays traverse de graves crises de façon cyclique. Nous estimons que la phase de croissance durera encore quatre ou cinq ans avant la prochaine catastrophe, et ainsi de suite. La façon la plus simple de prédire l’avenir est de regarder le passé. Si on examine l’histoire du pays, c’est ainsi que se passent les choses. Nous avons peur de ces cycles, mais l’important est de survivre à la phase de crise. Nous sommes ici pour la préservation plus que pour le profit. Si nous voulions réaliser des bénéfices, nous serions restés en Afrique du Sud. Évidemment, nous aimerions que les affaires tournent mieux, mais le plus important à nos yeux est d’offrir de bons services touristiques et un repère de confiance dans la région. Le fait que nous ayons survécu à cette crise, grâce à l’aide de nombreux amis, c’est très important pour nous. Désormais, nous souhaitons être assez indépendants pour disposer de notre propre budget au moment de la prochaine période d’instabilité. Nous espérons que cela n’arrivera pas, mais je pense qu’il faut s’y préparer. C’est ainsi que je vois l’avenir, et ce n’est vraiment pas beau à voir.
Traduit de l’anglais par Claire Ferrant et Clémence Postis. Couverture : La réserve Sangha.
QUI POURRA SAUVER LE PARC LE PLUS DANGEREUX D’AFRIQUE ?
Menacé par les compagnies pétrolières et les factions rebelles, le parc national des Virunga repose sur les épaules d’une poignée d’hommes et de femmes.
I. Virunga
Alors que les hommes commencent à tirer dans sa direction, Emmanuel se jette de côté et essaie d’accélérer pour sortir de cette embuscade. Quatre cartouches font éclater le pare-brise ; d’autres atteignent le bloc moteur, stoppant net le véhicule. Saisissant son fusil, Emmanuel se glisse hors de la jeep par la portière de droite et se précipite en direction de la forêt. Les tirs ne cessent de pleuvoir tandis qu’il s’élance. Une balle l’atteint au thorax, une autre à l’abdomen. Après avoir couru une trentaine de mètres, Emmanuel s’arrête et fait feu en direction de la route ; à quatre reprises, le mécanisme se bloque, l’obligeant à marquer une pause. Puis, ainsi qu’il le raconte, il s’est assis et a attendu. Il perd alors beaucoup de sang. Une des balles a fracturé quatre côtes et perforé l’un de ses poumons. « C’était dur de souffrir ainsi et de savoir que le danger n’était peut-être pas écarté », se souvient-il. Près d’une demi-heure plus tard, Emmanuel sort de la forêt, non sans difficulté, pour retourner sur la route. Les assaillants ont disparu mais le Land Rover est hors d’usage. Impossible d’avancer. Une jeep de passage appartenant à une ONG refuse de s’arrêter, probablement parce qu’Emmanuel est couvert de sang. Peu de temps après, un fermier à moto se montre heureusement plus charitable. Après l’avoir installé à l’arrière de son deux-roues, le fermier le conduit dans un village où il intercepte un camion militaire. Cependant, l’armée congolaise dispose de peu de moyens, comme chacun sait, et très vite le camion tombe en panne. Emmanuel est transféré dans un second camion militaire qui n’a pas suffisamment d’essence pour terminer le trajet.
Finalement, il parvient à l’hôpital de Goma. Reste un obstacle majeur : tandis qu’on le prépare pour l’intervention, il apparaît évident que les chirurgiens, un Congolais assisté d’un médecin indien provenant d’une base voisine de l’ONU, ne peuvent pas communiquer. Le premier parle français, mais le second parle uniquement l’anglais. C’est ainsi que le patient, qui parle couramment les deux langues, endosse le rôle d’interprète au début de l’opération : « Scapel ! » « Je souffrais atrocement. Mes blessures s’étaient rigidifiées et commençaient à lancer, mais la situation était comique », explique Emmanuel. Après quatre jours d’hospitalisation, il est transféré par avion dans un centre médical au Kenya. Trois jours plus tard, il marchait dans les couloirs, sa perfusion à la main.
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