Personne ne voulait de Star Wars quand George Lucas a commencé à le pitcher à des studios au milieu des années 1970. C’était l’époque de Taxi Driver, de Network et de Serpico ; Hollywood voulait de l’authentique, du drame nerveux, pas des space operas pour mangeurs de pop corn. Mais ça n’était qu’une partie du problème.
Tel qu’il avait été conçu par le jeune réalisateur, Star Wars était tout simplement infaisable. La technologie requise pour porter à l’écran l’univers du film n’existait pas. Finalement, la 20th Century Fox a donné à Lucas 25 000 dollars pour terminer son scénario. Puis, après qu’il a reçu une nomination pour l’Oscar du meilleur film pour American Graffiti, il a obtenu le feu vert pour la production des Adventures of Luke Starkiller, as Taken From the Journal of the Whills, Saga I: The Star Wars. Cependant, le studio n’avait plus de département effets spéciaux : Lucas devait se débrouiller seuil. Il a su s’adapter, et plutôt habilement : Il ne s’est pas contenté de contribuer à l’invention de toute une nouvelle génération d’effets spéciaux. Il a également lancé une entreprise qui allait changer le cours de l’histoire de l’industrie cinématographique. Industrial Light & Magic est née dans un hangar étouffant, derrière l’aéroport de Van Nuys, en Californie, pendant l’été 1975. Ses premiers employés sortaient tout juste de l’université (diplômés ou pas…), ils étaient débrouillards et débordants d’imagination. On leur a confié l’insigne mission de créer les créatures de Star Wars, les vaisseaux, les tables de contrôles et les caméras. Rien n’a été simple et fait dans les temps, mais le travail magistral des artistes, techniciens et ingénieurs débutants d’ILM est finalement parvenu à transporter le public vers une galaxie lointaine, très lointaine. Alors qu’ILM fêtait son quarantième anniversaire cette année, elle peut se targuer d’avoir créé les effets spéciaux de 317 films. Et ce n’est qu’une partie de l’histoire : à la base, Pixar n’était qu’un ordinateur d’ILM… et Photoshop a été en partie inventé par un employé d’ILM bricolant des programmes pendant son temps libre. Des milliards de lignes de codes ont été écrites là-bas. Entre-temps, ILM a inséré des tentacules dans la barbe de pirates, transformé un homme en mercure et dominé le box office avec des superhéros et des dinosaures conçus par des ordinateurs. Ce qui définit ILM, ce n’est pas une signature visuelle, un sentiment ou un ton – ils en changent à chaque projet. C’est plutôt un infatigable esprit d’innovation que chacun des 43 intervenants interviewés pour reconstituer cette histoire orale a mentionné maintes fois. C’est la Force qui nourrit cette entreprise.
À l’origine
Lucas jonglait depuis longtemps avec l’idée d’un space opera – il avait même embauché l’artiste Ralph McQuarrie pour dessiner quelques idées –, mais il avait les mains liées par des contraintes techniques. GEORGE LUCAS (FONDATEUR) : Je savais que ça irait très vite, avec beaucoup de panoramiques et une gigantesque bataille galactique à la fin. Mais à l’époque, on ne pouvait pas faire ça. Je me suis dit : « Il faut qu’on trouve des solutions. » Et je devais y parvenir, c’était mon destin. DENNIS MUREN (DIRECTEUR CRÉATIF) : On tournait moins de films à l’époque. De temps en temps, les studios faisaient des films à effets spéciaux : un Tremblement de terre par-ci, un La Tour infernale par-là. Mais rien sur le futur. STEVEN SPIELBERG (REALISATEUR, PRODUCTEUR) : George a dit : « Je vais trouver des solutions, mois après mois. » LUCAS : Nous avons embauché plein de gens – beaucoup de gamins en fait. Et une infime portion d’entre eux avaient déjà travaillé sur un long-métrage.
JOHN DYKSTRA (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : J’ai reçu un coup de fil de George et on s’est rencontrés dans un bungalow, sur les terres d’Universal. Il voulait que Star Wars donne l’impression d’avoir été filmé avec une caméra de poing datant de la Seconde Guerre mondiale, c’est ce type d’intimité avec l’action dont il avait envie. LUCAS : Je voulais qu’on s’installe à San Francisco, mais on n’y trouvait aucun laboratoire de développement de film, alors John a insisté pour qu’on reste à Los Angeles. On a trouvé un hangar industriel à Van Nuys, près de l’aéroport. STEVE GAWLEY (MAQUETTISTE, RESPONSABLE) : Il n’y avait aucun aménagement. Nos murs étaient en 2 x 4 avec du film Visqueen agrafé dessus. Régulièrement, on pétait les plombs à cause de la musique – le hit du moment c’était l’album Rumours, de Fleetwood Mac – et il fallait la baisser parce que les murs étaient en plastique. LUCAS : Il y avait environ 45 personnes qui travaillaient pour nous. Elles avaient en moyenne 25 ou 26 ans. CHARLIE BAILEY (CRÉATEUR DE MAQUETTES ET DE CRÉATURES) : Tout le monde était designer industriel ou architecte ou ingénieur. GAWLEY : En face, dans la rue, il y avait une boutique de surplus militaire. On y a acheté beaucoup de choses obsolètes d’occasion pour les intégrer à nos maquettes, parce qu’on voulait faire des économies. LUCAS : On travaillait sur les statuts de l’entreprise et on s’est demandé : « Comment allons-nous appeler ce truc ? » On était dans un parc industriel. Ils construisaient ces machines géantes Dykstraflex pour filmer des trucs, c’est de là que vient le « Light ». Finalement j’ai dit : « Oublie l’industriel (Industrial) et la lumière (Light), il faut que ce soit magique (Magic). Sinon c’est voué à l’échec, on tourne un film dont personne ne voudra. »
DYKSTRA : Le hangar faisait probablement 120 m2 et sentait les vestiaires de gymnase. Il y faisait une chaleur d’enfer. Si on éclairait une maquette avec 6 000 watts, ça pouvait monter à 55°C. LORNE PETERSON (MAQUETTISTE ET RESPONSABLE DE L’ATELIER): Quelqu’un a trouvé un gros réservoir et on l’a rempli d’eau froide. On s’y baignait pendant les pauses. DYKSTRA : À la boutique de surplus, on a trouvé un toboggan d’évacuation de Boeing 727. On y mettait un peu d’huile et d’eau, ça permettait de faire des glissades de dingue. GAWLEY : Parfois, l’après-midi, on s’échappait avec nos pique-niques et trois clubs de golf. En une heure, on arrivait à faire six ou sept trous, mais en courant entre chaque. PETERSON : On avait aussi un réservoir à oxygène. Je me disais : « Mon Dieu, mais ça ne fait rien du tout, ça sent juste un peu bizarre. » Mais plus tard, dans les couloirs, les gens me demandaient : « Pourquoi tu souris tout le temps ? » GAWLEY : Le département financier des studios pensait qu’il fallait qu’on ferme. Ils nous appelaient le Country Club.
« Il nous fallait former des gens à effectuer des travaux que nous savions à peine faire nous-mêmes. » — Dennis Muren
DYKSTRA : Nous n’avions pas très bonne réputation parce qu’on enfreignait beaucoup de règles. Mais en même temps, on était encore là à 3 h du matin, alors que les employés des studios dormaient tranquillement dans leur lit. PETERSON : On ne tournait pas très rapidement. DYKSTRA : Il y avait un nombre de plans incroyables à tourner pour une époque à laquelle ni l’équipement ni les procédés utilisés pour produire le film n’existaient. Ça nous dépassait. Il nous a fallu presque un an juste pour commencer à filmer. LUCAS : Le budget total du film était de 9 999 999 dollars. Le budget effets spéciaux s’élevait à deux millions de dollars. La caméra allait probablement coûter 400 000 dollars. DYKSTRA : On a construit des caméras en utilisant tout un tas de technologies bizarres. On a construit des ordinateurs. On a conçu et construit toute notre électronique à partir de rien. GAWLEY : Le rail de notre caméra faisait probablement un mètre de large sur 12 mètres de long. DYKSTRA : C’était gentil de leur part d’avoir donné mon nom à la caméra, mais il était évident que chacun de ces gars avait contribué au système désormais connu sous le nom de Dykstraflex. PETERSON : George était déçu lorsqu’il est revenu du tournage en Angleterre. LUCAS : Ces types n’ont pas compris ce qu’il y avait d’essentiel lorsqu’on tourne un film. Tu ne peux pas avoir un jour de retard, ça ne fonctionne pas. Tout est lié comme dans une gigantesque mosaïque. Toutes les pièces doivent être parfaitement assemblées.
SPIELBERG : J’ai vu un pré-montage du film. Pas d’effets spéciaux, juste un montage d’images d’actualité de la Seconde Guerre mondiale en noir et blanc que George avait fait pour montrer où aurait lieu la Guerre des Étoiles. LUCAS : Nous avions 800 plans à réaliser. Ils avaient mis un an et dépensé un million de dollars pour avoir un seul plan – un canon faisant boom, boom, boom. J’ai dit : « OK, au moins on s’est mis en route. » C’était en août 1976, le film est sorti en mai 1977.
Une nouvelle maison
Le film a été un succès immédiat, mais Lucas est parti en vacances à Hawaï peu après la première et il n’a pas réalisé l’ampleur du phénomène avant que des amis ne l’appellent une semaine plus tard. À son retour, il a décidé de relocaliser son atelier à effets spéciaux dans le nord de la Californie. En fin de compte, tout le monde n’a pas fait le voyage. John Dykstra, par exemple. LUCAS : Au début, j’étais en burn-out complet, donc je m’en fichais un peu. Mais ensuite, j’ai commencé à me dire : « Mince, je ferais bien les suites. » On a trouvé un endroit à San Rafael et on a commencé. GAWLEY : Vingt personnes nous ont suivis, et on a dû tout réinstaller. SPIELBERG : Sur Kerner Street. BAILEY : L’enseigne, qu’on avait conservé de la boutique qui se trouvait là auparavant, disait « Kerner Optical ». Mais on était assiégés. Des gens faisaient nos poubelles la nuit. Des types se faisaient passer pour des livreurs de fleurs juste pour réussir à entrer. CARY PHILLIPS (RESPONSABLE DE LA R&D) : Kerner était un véritable dépotoir. Mais il régnait parmi nous ce sentiment de vouloir accomplir des tas de choses. KATHEEN KENNEDY (COFONDATRICE D’AMBLIN ENTERTAINMENT) : On avait un Jerome’s Chocolate Chip Cookies juste derrière chez nous. L’odeur nous envahissait. MUREN : John était complètement différent de George. Doué pour l’électronique mais un peu du genre à tout envoyer valser. DYKSTRA : Ça ne m’intéressait pas d’aller à San Francisco. Je n’étais pas invité. MUREN : Je n’avais pas été contacté par George alors que d’autre l’avaient été, j’ai donc appelé son producteur Gary Kurtz. Il avait eu peur de m’en parler parce qu’il pensait que j’avais un accord avec John. J’ai dit : « Ce n’est pas le cas. J’adorerais venir. » PETERSON : Quarante ans plus tard…
SPIELBERG : Dennis Muren est la personne vivante qui a remporté le plus d’Oscars. J.J. ABRAMS (REALISATEUR, PRODUCTEUR) : Travailler avec Dennis, c’est comme jouer de la guitare avec Paul McCartney. C’est dur de croire que vous êtes en train de collaborer avec lui. MUREN : L’Empire contre-attaque était le film le plus difficile sur lequel il m’avait été donné de travailler. Il nous fallait former des gens à effectuer des travaux que nous savions à peine faire nous-mêmes. LUCAS : Le plus gros défi sur L’Empire contre-attaque, c’était Yoda. Nous savions comment faire voler des vaisseaux. Ce que nous ne savions pas, c’était comment faire croire au public que cette créature de 60 cm de haut était en vie, et non une simple marionnette. RON HOWARD (RÉALISATEUR, PRODUCTEUR) : Je me souviens m’être rendu dans le vieux hangar qu’il avait loué, et ce qu’ils faisaient sur L’Empire contre-attaque était à couper le souffle. Je me suis senti exactement comme un gosse qui aurait pénétré dans l’atelier du père Noël au Pôle Nord. SPIELBERG : C’était un endroit génial où traîner : des savants fous du son, de l’image, et entre chaque plan, nous allions tirer des feux d’artifices M-80 entre les immeubles et faire trembler tout le quartier. J’avais la trentaine, c’était le terrain de jeu le plus cool sur lequel j’avais jamais été.
L’ère de l’informatique
Étant donné l’amitié entre Lucas et Spielberg, il était impossible à ILM de refuser les projets du réalisateur, c’est pourquoi les années suivantes ont été remplies de productions de Spielberg. C’est aussi à cette époque qu’ILM a commencé à passer aux effets numériques. LUCAS : Nous avons fait Les Aventuriers de l’arche perdue et ensuite E.T.. MUREN : Nous avons passé deux ans sans travailler sur un film Star Wars. Je crois que nous avons fait cinq films à l’époque. Avec Le Dragon du lac de feu, nous avons réussi à rendre l’animation en stop-motion plus réelle qu’avant, en y ajoutant des flous. JOHN KNOLL (DIRECTEUR DE LA CRÉATION) : Le dragon avait l’air vivant. Comment est-ce qu’ils faisaient ça ? MUREN : Nous avions un dragon miniature que Phil Tippett avait fait, et nous l’avons programmé à vitesse réduite plutôt que d’avoir recours à un animateur pour le faire bouger une image après l’autre. On a reçu un Prix de l’avancée technique pour ça. On a appelé cette technique « go motion ». Beaucoup de gens pensent encore aujourd’hui qu’il s’agit du meilleur dragon jamais fait au cinéma. ED CATMULL (PRÉSIDENT DE PIXAR) : George voulait introduire la haute technologie dans l’industrie, et j’ai reçu cet appel sans prévenir, c’était la chance de ma vie.
LUCAS : J’ai lancé ce que j’ai appelé la division informatique : Ed, Alvy Ray Smith, et tout un tas de types du MIT que Ed connaissait. On les a fait venir et on les a installés dans l’immeuble voisin d’ILM. ILM ne voulait rien avoir à faire avec eux. CATMULL : Je suis arrivé en juillet 1979. Pendant les premiers mois, je travaillais dans le bureau de George car il tournait L’Empire contre-attaque à Londres. LUCAS : Je lui ai donné une liste de choses que je voulais construire : un système de montage numérique, et un ordinateur entièrement dédié à l’infographie. C’était un ordinateur visuel – le Pixar. La première chose que nous avons faite avec, c’était un petit bout de Star Trek II, le moment où ils changent une planète stérile en planète aride. CATMULL : Le but était de faire en sorte de pouvoir mélanger les images générées par l’ordinateur à l’action réelle. Vous trouvez les séquences les plus mémorables à ce titre dans Le Secret de la pyramide et dans Abyss. SPIELBERG : John Lasseter à créé la séquence du Secret de la pyramide dans laquelle le templier sort du vitrail de l’église et attaque le prêtre. BILL GEORGE (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : Il y avait des choses incroyables dans cette scène de l’homme-vitrail, qui vous donnait une idée de la direction vers laquelle tendait l’infographie cinématographique.
« Tous les grands studios qui travaillaient sur les blockbusters de l’époque bossaient avec ILM. » — James Cameron
Il était clair que les images de synthèse pouvaient aider à créer de la magie. Mais tandis que Lucas voyait dans l’ordinateur Pixar un moyen de créer des séquences comme celle du combat de maître Yoda, Catmull et son équipe voulaient l’utiliser pour créer des films d’animation. Au final, les deux divisions se sont séparées : ILM a conservé la technologie de l’équipe pour son propre usage, mais elle a vendu la division informatique à Steve Jobs en tant que société baptisée Pixar. Pendant ce temps, l’envergure et la portée d’ILM ne cessaient de grandir. La compagnie n’avait pas seulement renforcé l’empire de Star Wars avec Le Retour du Jedi, elle s’était aussi occupée de séquences d’effets spéciaux pour Retour vers le futur, Cocoon, Les Goonies et beaucoup d’autres films cultes des années 1980. JAMES CAMERON (RÉALISATEUR, PRODUCTEUR) : ILM était une institution, c’étaient les pontes installés en haut de la colline. Tous les grands studios qui travaillaient sur les blockbusters de l’époque bossaient avec ILM. BAILEY : Pour Howard the Duck, nous sommes passés par de longues séances de R&D pour trouver les bonnes plumes. Beaucoup d’entre nous y passaient plus de 100 heures par semaine. Chaque plume devait être très soigneusement découpée avec des ciseaux chirurgicaux – il y a des gens crédités au générique en tant que « plumeurs ». LUCAS : Un jour, j’espère que Marvel réalisera une nouvelle version d’Howard the Duck, et vous verrez que ça peut être un bon film. Avec un canard numérique, ça marcherait à tous les coups. KNOLL : Si vous étiez nouveau à ILM, on vous affectait à l’équipe de nuit – je travaillais pour ma part de 19 h à environ 5 heures du matin. Durant mon temps libre, je travaillais sur une idée avec mon frère aîné, qui planchait sur son doctorat d’ingénieur logiciel à l’université du Michigan. Ça a fini par donner Photoshop. MUREN : Quelques temps avant que nous fassions Ghostbusters II et Willow, on avait l’impression de s’être pris un mur. L’imagerie numérique flottait autour de nous comme une carotte inaccessible : elle promettait tout un tas de choses depuis près de dix ans mais ce n’était pas encore très convainquant. HOWARD : Il nous a fallu opérer une sacrée transformation pour Willow. LUCAS : Dans le scénario, une chèvre se change en différentes sortes d’animaux avant de se métamorphoser en vieille dame. HOWARD : Je m’attendais à ce que ce soit fait de la même façon qu’on avait toujours fait les transformations en loup garou : avec des prothèses, des fondus et des coupes. Dennis Muren s’est invité à l’une de nos réunions sur l’histoire un jour, et il a dit : « Je pense que nous pourrions rendre les transformations un peu plus fluides. Elles ne seraient pas filmées par la caméra, mais générées par ordinateur. » Je n’avais aucune idée de ce dont il parlait, ça m’a littéralement soufflé. CAMERON : Nous sommes en 1988. Je commence à travailler sur Abyss. Il y avait une séquence dans le film que je parvenais à imaginer mais que je ne voyais pas comment faire – la séquence du pseudopode, l’espèce de gros boudin d’eau qui entre dans le vaisseau et dessine des visages. Les images de synthèse en étaient encore à leurs balbutiements. On ne voyait pas comment intégrer ça dans le film. CATMULL : Pixar, en tant que nouvelle compagnie, a posé sa candidature face à ILM pour réaliser les effets d’Abyss. Mais Cameron a donné le job à ILM, et il a probablement eu raison, car si ça ne marchait pas avec l’ordinateur, il savait qu’ils pourraient trouver un autre moyen de le faire, tandis que nous n’avions de notre côté qu’une seule façon d’aborder le problème. CAMERON : Dennis Muren était curieux et excité, ce n’était pas du tout la réaction que j’attendais de la part des gars d’ILM. Il a aidé à concevoir ce personnage à surface molle : coulant, ondulant, très complexe. C’est devenu un moment charnière dans l’histoire des effets spéciaux.
Les outsiders
Abyss, comme le dit Cameron, était son « premier rendez-vous » avec ILM. Le second serait le plus gros pari d’Hollywood sur l’infographie. Entrent en scène une poignée de génies tarés à la renommée de rockstars. CAMERON : Terminator 2 était à l’époque le film le plus cher jamais réalisé, et tout s’articulait autour de ce type fait de métal liquide. L’un des deux personnages principaux d’un film à 100 millions de dollars était une image de synthèse. Ça foutait vraiment les jetons. STEFEN FANGMEIER (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : Le département infographie était petit, et habité par un esprit pionnier. De nos jours, on peut acheter tout plein de logiciels prêts à l’emploi, mais à l’époque nous avons dû tout inventer depuis zéro. CAMERON : Spaz Williams et Mark Dippé ont aidé à résoudre ces problèmes. MARK DIPPÉ (PRODUCTEUR D’EFFETS SPÉCIAUX) : On pouvait fait tout ce qu’on voulait parce qu’on était d’ILM, et que les gens nous respectaient. GEORGE : Steve Williams avait une moto et jouait au hockey, et tous les mecs qui sont venus à sa suite voulaient devenir Steve « Spaz » Williams. Spaz et Mark Dippé n’étaient pas des nerds à lunettes pluggés sur leurs ordinateurs. C’étaient des types très curieux, des originaux, qui inventaient de nouvelles technologies et n’étaient jamais à court d’idées brillantes. STEVE « SPAZ » WILLIAMS (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : J’avais l’habitude de jouer la sérénade aux machines avec ma cornemuse pour qu’elles ne plantent pas. DIPPÉ : On faisait tellement de bruit qu’ils nous ont installés dans une vieille salle de mixage son équipée de portes insonorisées. On l’appelait la Fosse.
WILLIAMS : On passait Beethoven et Love It to Death d’Alice Cooper à fond. ALEX JAEGER (DIRECTEUR ARTISTIQUE) : Il fallait descendre des escaliers vraiment raides, jusqu’à cette petite pièce noire et sans fenêtres. DIPPÉ : Robert Patrick, qui jouait le T-1000, a accepté de venir jouer notre marionnette. Il devait resté debout là, comme s’il était crucifié, pendant que les maquilleurs peignaient soigneusement toutes ces lignes sur lui afin que nous puissions tout recréer sur l’ordinateur. Nous avons numérisé son visage ! C’était difficile, mais il a totalement joué le jeu. Il a tenu jusqu’au bout, le gars ! FANGMEIER : Il y a une scène après que le camion explose et que le T-1000 en émerge. Nous voulions que les flammes se reflètent sur l’alliage de sa peau pendant que le T-1000 marche dedans. GARY RYDSTROM (SOUND DESIGNER ET RÉALISATEUR) : Quand le T-1000 passe à travers les portes dans l’hôpital psychiatrique ? Si vous renversez une conserve de nourriture pour chien, le son du cylindre qui sort lentement de la conserve est la parfaite combinaison de boue, de métal et de succion. Coût de l’effet sonore ? 75 cents. CAMERON : On avait toujours l’impression que c’était dans les tout derniers instants du processus que les choses prenaient forme. À voir ces images fil de fer, on ne pouvait pas s’empêcher de se dire : « Mon Dieu, on n’y arrivera jamais. » Et puis on passait du fil de fer à une surface grise. Et là, on se disait : « Ah, il se pourrait qu’on y arrive. » Et après ça, on en tombait de nos chaises.
L’écart numérique se creuse
Alors qu’ILM bouclait son travail sur le projet, une nouvelle production de Spielberg a fait son entrée, celle-ci impliquant des dinosaures. Elle allait représenter un tournant décisif dans la vie des effets spéciaux numériques : la ligne de démarcation entre l’Antiquité et le futur informatique. WILLIAMS : Dennis Muren nous a emmenés manger de l’autre côté de la rue un midi, et nous a dit qu’on allait plancher sur un travail énorme à l’initiative de Spielberg – un truc avec des dinosaures. PHIL TIPPETT (FONDATEUR DE TIPPETT STUDIO) : Après L’Empire contre-attaque, j’ai lancé Tippett Studio. Jurassic Park était une aventure conjointement menée par Tippett et ILM. JIM MORRIS (ANCIEN PRÉSIDENT D’ILM) : Phil ferait les dinosaures en stop-motion, et nous les assemblerions ensuite dans les plans avec les acteurs. WILLIAMS : On a demandé : « Pourquoi est-ce qu’on ne fait pas tout le machin en images de synthèse ? » Mais les types aux commandes de la boîte m’ont dit de ne pas m’embarquer là-dedans. Mais on savait que le numérique était capable de faire ces conneries.
« J’ai commencé le film comme un ado de 15 ans blasé et je suis sorti de la projection comme un gosse émerveillé. » — Colin Trevorrow
DIPPÉ : On n’avait pas le feu vert. Spaz, Stefen et moi étions prêts à foncer tête baissée. FANGMEIER : On est allés au zoo d’Oakland pour filmer des éléphants et des rhinos, simplement pour observer la façon dont la peau se plie. WILLIAMS : J’étais à vélo et je suis tombé sur un mec du département de Tippett. Il me demande : « Tu bosses sur quoi en ce moment ? » Je réponds : « Je construis un T. rex. » Et là il dit : « Bordel, de quoi tu parles ? C’est nous qui faisons ça ! » C’en est presque venu aux mains. TIPPETT : J’avais effectué beaucoup de recherches sur les dinosaures pour un précédent film impliquant des dinos en stop-motion, j’étais calé sur les dernières théories paléontologiques. DIPPÉ : Le dinosaure en infographie a été accidentellement montré à Kathleen Kennedy [l’une des productrices de Jurassic Park]. WILLIAMS : J’avais fini une démo d’infographie le dimanche soir, et le lendemain Muren et Kathleen Kennedy sont entrés alors que le T. rex marchait en boucle sur un grand écran. Elle s’arrête et demande : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Je lui réponds : « Je m’amuse, je travaille sur des trucs. » DIPPÉ : Après que Kathleen a vu le test, la décision a été prise de le montrer à Steven. Dennis l’a apporté à L.A. et l’a projeté pour Steven dans les locaux d’Amblin. GEORGE : On voyait le T. rex poursuivre les raptors. LUCAS : Le test a rendu les gens dingues, certaines personnes pleuraient.
SPIELBERG : La fluidité des cycles de la course des dinosaures était sans comparaison possible – même avec le go-motion. J’ai juste dit : « Okay, vous avez signé la fin du stop-motion. » COLIN TREVORROW (RÉALISATEUR DE JURASSIC WORLD) : J’avais un ami qui travaillait au Grand Lake Theater d’Oakland, et le dernier soir avant la sortie de Jurassic Park, nous nous sommes assis au milieu de cet immense palais du film désert et nous l’avons projeté spécialement pour nous. J’ai commencé le film comme un ado de 15 ans blasé, persuadé de savoir comment tout fonctionnait, et je suis sorti de la projection comme un gosse émerveillé par l’aventure que nous venions de vivre tous ensemble.
Sans limite
« C’est comme si un interrupteur géant avait été actionné en une nuit », dit Ed Catmull à propos de l’effet qu’a eu Jurassic Park sur Hollywood. Les images de synthèse ont commencé à se répandre partout, certains films se voyant donné le feu vert à la vue d’une simple démo. Des projets autrefois réputés comme impossibles sont devenus possibles – pour Lucas, il s’agissait des prequels à Star Wars qu’il avait imaginé depuis longtemps mais jamais réalisé. LUCAS : Je n’ai jamais pensé que je pourrais réaliser les prequels de Star Wars, parce que je ne voyais aucun moyen de faire combattre Yoda. Il était impossible de planer au-dessus de Coruscant, cette ville-planète géante. Mais une fois qu’on a eu le numérique, il n’y avait plus de limite à ce que vous pouviez faire. BAILEY : Quand l’infographie a débarqué, on a tous paniqué. On s’est dit : « Oh mon Dieu, ces types peuvent nous mettre sur la paille en un an. » TIPPETT : Ça a été catastrophique pour moi. Toute mon habileté, tout mon savoir-faire ont été balancés par la fenêtre. Il n’y avait pas moyen que je travaille sur un ordinateur.
BAILEY : Mais en réalité ils ont généré tellement d’intérêt pour les effets spéciaux que nous avons eu encore plus de travail. TIPPETT : Cela m’a fait prendre de la hauteur, je travaillais davantage en qualité de superviseur de l’animation. WILLIAMS : La technologie en était à ses balbutiements, et nous avions l’opportunité incroyable de pouvoir lui donner forme… mais c’est devenu ce putain de Casper le gentil fantôme. AARON MCBRIDE (DIRECTEUR ARTISTIQUE) : Je n’ai pas pensé grand chose de Casper à l’époque, mais le film comportait le premier personnage principal numérique de l’histoire du cinéma. KENNEDY : ILD a réalisé une preuve de concept pour Twister. À la minute où nous avons amené ce plan au studio et qu’ils l’ont vu, ils ont dit : « Banco. On le fait. » On n’avait même pas de scénario à ce moment-là ! BEN SNOW (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : Nous étions environ une centaine à travailler sur Casper en 1995 et sur Twister en 1996. La même année pour Cœur de dragon, c’est passé à 200. Et quand nous avons commencé Star Wars: Episode I, en 1999, nous étions près de mille. GEORGE : Arrivé au troisième épisode de la trilogie, la plupart des environnements étaient générés par ordinateur. MUREN : Pour La Menace fantôme, George voulait que nous produisions 2 200 plans en un an et demi. À ce moment-là vous vous dites qu’il vous sera impossible d’y arriver. Là il vous dit, comme il en a l’habitude : « Pensez-y », et puis il sort. KNOLL : Les gens ne donnent pas à George tout le crédit qu’il mérite. Le travail qu’il a réalisé sur les prequels a lancé un genre de productions qui ont permis à l’industrie de survivre. JAEGER : La compagnie comptait à présent plus de 1 200 personnes. GRETCHEN LIBBY (RESPONSABLE DU DÉVELOPPEMENT ET DE LA STRATÉGIE GLOBALE) : Nous avons dû créer de nouveaux espaces pour que les gens travaillent. On les a casés dans des remorques à triple-largeur.
L’effet Michael Bay
Au début des années 1980, un adolescent du nom de Michael Bay a décroché un job d’été chez Lucasfilm, à classer des illustrations. Deux décennies plus tard, il deviendrait le plus… direct des collaborateurs d’ILM. SPIELBERG : Michael Bay est le plus exigent des réalisateurs en termes d’effets spéciaux. Quand nous travaillons sur les films Transformers, Michael vit avec eux chez ILM. Il se lève et il part camper là-bas. MICHAEL BAY (RÉALISATEUR, PRODUCTEUR) : Ils pensent toujours à l’histoire, c’est ce que j’aime chez eux. Ils ne se contentent pas de faire de la peinture aux numéros, ils sont très investis. JAEGER : J’ai travaillé sur sept de ses films jusqu’ici. C’en est arrivé au point où il dit : « Assurez-vous qu’Alex jette un œil là-dessus avant de l’envoyer. » Mais sur Pearl Harbor, j’étais juste « le type », je n’avais même pas de nom. BAY : Pearl Harbor est le premier film sur lequel j’ai travaillé avec ILM. JAEGER : Au début du processus, il est venu nous voir et nous a dit quelque chose du genre : « Je veux voir de vrais explosions, de vrais avions, de vrais bateaux. » Nous avons construit un bateau de guerre de dix mètres de long avec des ponts en teck, mais pendant que le modèle était en train d’être préparé, on en a développé une version générée par ordinateur. BAY : Nous avons filmé une vingtaine de véritables avions, mais nous n’aurions jamais pu filmer ces plans sans créer ces avions numériques.
JAEGER : Dans l’une des scènes où nous survolons l’USS Hornet, on doit voir un pont tout entier rempli de bombardiers B-25. Nous n’avions que deux modèles véritables parmi toute la compagnie. On s’est assis avec Michael et on lui a demandé de désigner lesquels étaient vrais et lesquels étaient des avions générés par ordinateur. Il a répondu : « J’y étais. Je l’ai filmé. » Il a dû regarder la scène une dizaine de fois, avant de dire : « Bon, le premier avion doit être le vrai, car vous ne mettriez pas un faux en premier. » Et non, c’était un faux. BAY : Après Pearl Harbor, George Lucas m’a écrit un message dans lequel il disait que nous avions mis la barre plus haute chez ILM.
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BAY : De nombreux artistes ont travaillé sur le visage d’Optimus. Il était capital qu’il soit réussi. Mais on aurait dit un lifting raté. Et j’étais là, avec les artistes, sans qu’on puisse dire ce qui clochait sur ce visage. PHILLIPS : L’un de nos directeurs techniques – l’artiste qui conçoit le mouvement de chacune des parties par rapport à l’autre – s’appelle Keiji. BAY : Keiji ne s’occupait même pas du visage d’Optimus, mais il a fait une crise. KEIJI YAMAGUCHI (ANIMATEUR TECHNIQUE) : Je voulais qu’Optimus Prime ait l’air d’un héros, mais ce n’était pas le cas et j’ai craqué. Il avait l’air tout gentil, moi je voulais que sa transformation soit impressionnante, comme les combattants lors d’une cérémonie sumo. J’ai bondi : « Vous êtes en train d’insulter l’idée japonaise de l’animation ! » PHILLIPS : Personne ne parle à Michael Bay comme ça.
BAY : J’ai simplement souri et j’ai dit quelque chose du genre : « Oh mon Dieu, je veux que ce soit vous qui fassiez d’Optimus Prime. » Il s’en est emparé et il a arrangé le visage. C’est aussi lui le génie qui nous a aidés à comprendre comment articuler ces 10 000 morceaux et les faire se transformer. JEFF WHITE (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : C’est 50/50 entre la technologie et l’art. WAYNE BILLHEIMER (PRODUCTEUR EXÉCUTIF DES EFFETS SPÉCIAUX) : Le second Transformers était ma première vraie collaboration avec Bay. Je suis allé à deux réunion de préproduction avec lui où j’ai commencé à comprendre ce qu’il se passait : « Je vais le tourner, je vais vous le donner, et vous, les gars, vous allez devoir en faire quelque chose. Ça va être brutal. » BAY : La température est montée brutalement quelques fois. Les réalisateurs comme moi adorent leur équipe, j’adore les gens avec lesquels je travaille, mais je les pousse constamment. BILLHEIMER : À un moment, vers la toute fin de la production du film, il a pété les plombs. Il revenait juste d’une projection avec Jerry Bruckheimer et le troisième acte n’était pas terminé. Il m’a appelé en hurlant : « Je viens de voir un de film que je ne peux pas sortir, putain ! » C’était du Bay niveau bombe nucléaire. Tout ce que je pouvais faire, c’était lui crier dessus en retour. On a bien dû se gueuler dessus cinq minutes sur cette lancée. Le lendemain, il me dit : « C’était sympa de gueuler comme ça hier. »
« J’ai presque fait dans mon pantalon en voyant le défi auquel nous nous attaquions. » — Cary Phillips
BAY : Ils ne vous laissent jamais tomber. BILLHEIMER : Il monte dans les tours très vite et devient très vulgaire, c’est toujours divertissant. PHILLIPS : C’est un tyran. C’est un fil ininterrompu d’obscénités. Il vous réprimande et vous dit que vous êtes un imbécile. Mais il vous permet continuellement de vous améliorer. BILLHEIMER : Et ses films rapportent des milliards de dollars.
Toujours plus haut
En 2005, la compagnie a vidé ses locaux de San Rafael pour s’installer au Presidio de San Francisco. Sa succession est bien assurée, mais alors que les sociétés d’effets spéciaux sous-traitent de plus en plus leur travail à l’étranger, ILM semble de plus en plus rare dans son milieu. Avec l’âge est venu la maturité : après des décennies et de nombreux Oscars amassés depuis ses débuts façon copains de chambrée, ILM a cherché à intégrer davantage de femmes dans les rangs de ses artistes et de ses techniciens. Aujourd’hui, son ambition et son enthousiasme innés restent inchangés. GORE VERBINSKY (RÉALISATEUR, PRODUCTEUR) : Il est vrai qu’ILM coûte un peu plus cher que les autres, mais ils sont comme la marque déposée d’un médicament : ils font tout pour trouver le remède à vos problèmes. ILM possède un département de recherche. COLETTE MULLENHOFF (INGÉNIEURE EN RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT) : Il y a cinq femmes à la R&D aujourd’hui. Pendant un temps, j’étais la seule. LYNWEN BRENNAN (PRÉSIDENTE D’ILM) : J’étais follement heureuse de voir Colette recevoir une standing ovation aux Sci-Tech Awards il y a quelques mois. C’est vraiment énorme. VERBINSKI : C’est comme le Palo Alto Research Center de Xerox ou l’Imagineering de Disney à leur apogée.
BRENNAN : Je ne suis pas heureuse de voir qu’il y a encore un parti pris sexiste dans l’industrie, mais je suis heureuse de voir que ça change. Je pense juste que cela va prendre du temps. SCOTT BENZA (RESPONSABLE DE L’ANIMATION) : D’un point de vue financier, les gens ne comprennent pas pourquoi nous avons acheté l’une des terres les plus chères de l’État ici, au Presidio. Mais c’était la volonté de George que de créer une installation de pointe dans un endroit magnifique pour les gens qui travaillent ici. MUREN : Nous sommes dans un parc national. C’est dingue. WHITE : Je peux voir le pont du Golden Gate depuis mon bureau. Je le traverse en voiture tous les jours, et je le vois souvent être traduit dans nos films. Si un monstre arrive, c’est ici qu’il frappera en premier. MUREN : Les autres compagnies travaillent encore dans un parc industriel quelque part, car les marges sont maigres dans ce genre de travail. Beaucoup de compagnies se sont retrouvées sur la paille. ROGER GUYETT (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : Digital Domain s’est bien battu. Rhythm & Hues a fait faillite. CafeFX a mis la clé sous la porte. PHILLIPS : Au cours de mes vingt années ici, il y a au moins trois fois où je me suis presque fait dessus en voyant le défi auquel nous nous attaquions. La première fois, c’était en regardant les concept arts de Star Wars: Episode I. La deuxième fois, c’était en voyant le personnage de Davy Jones dans Pirates des Caraïbes – Le secret du coffre maudit. BRICE CRISWELL (INFORMATICIEN SENIOR) : Nous devions créer un genre d’algorithme procédural pour décrire les différents états émotionnels des tentacules. VERBINSKY : Les tentacules de Davy Jones ont été un sacré casse-tête. CRISWELL : Ça a donné lieu à un système qui a été utilise pour tout un tas de choses, comme pour les simulations de destruction dans Avengers. JOSS WHEDON (RÉALISATEUR D’AVENGERS : L’ÈRE D’ULTRON) : ILM nous a vraiment permis de comprendre que tout est possible en matière de cinéma fantastique. CHRISTIAN ALZMANN (DIRECTEUR ARTISTIQUE) : Les tours de passe-passe qu’ils utilisent sont juste incroyables. Lorne Peterson m’a expliqué comment il avait fait pour que les rochers en mousse de Wild Wild West se comportent comme de vrais rochers… j’ai presque saigné du nez en tentant de l’imaginer calculer tout le processus physique dans sa tête. PHILLIPS : La troisième fois où je me suis presque pissé dessus, c’est quand j’ai vu le concept art pour le film sur lequel nous travaillons en ce moment, Warcraft. C’est le travail le plus incroyable qu’il m’ait été donné de faire ici en vingt ans. DUNCAN JONES (RÉALISATEUR DE WARCRAFT) : Je crois qu’on a récemment passé la barre des mille plans restants avant la fin. Ça faisait plaisir à entendre. GUILLERMO DEL TORO (RÉALISATEUR DE PACIFIC RIM) : Je ne leur rends visite que pour des questions de travail, mais nous avons tous grandis nourris à la pop culture, à Cinefex Magazine et aux Cheetos.
RIAN JOHNSON (RÉALISATEUR DE STAR WARS : EPISODE VIII) : Lorsque j’étais au lycée, quelqu’un m’a donné un exemplaire de ce petit livre d’ILM intitulé The Art of Special Effects. J’ai presque foutu le feu à ma maison à cause de ce livre. DEL TORO : On parle des films d’horreur de la Hammer, on sort acheter des figurines de collection dans San Francisco… je ressors toujours avec vingt ou trente modèles. JOHNSON : Mes amis tournaient une parodie de Retour vers le futur, et j’ai décidé que j’allais recréer les traces de pneus brûlantes que laisse la DeLorean derrière elle. Malin que je suis, j’ai trempé des bandes d’essuie-tout dans l’essence et les ai étalées en ligne derrière ce gros modèle de DeLorean que j’avais construit dans le garage de mes parents. Je ne me rappelle plus comment j’ai éteint le feu, mais j’ai pratiquement détruit la maison de mes parents. Et maintenant je fais Star Wars. C’est comme ça qu’on y arrive. MAIA KAYSER (RESPONSABLE DES EFFETS SPÉCIAUX) : Ma première « rencontre » avec ILM, c’était en regardant Le Retour du Jedi avec mon père. Plus tard, j’ai commencé à travailler ici en tant qu’apprentie sur L’Attaque des clones, et maintenant je travaille à nouveau sur Star Wars. Ça a une signification particulière pour moi, trente ans après cette première fois. MUREN : Pour chacun des films sur lesquels j’ai travaillé, je me suis convaincu que notre travail était devenu obsolète. C’était intentionnel de ma part. S’il y a un film qui sort l’été prochain, je ne veux pas qu’on me rebatte les oreilles du précédent, même s’il s’agit du même thème. C’est à moi de rendre les choses différentes. TREVORROW : La lumière crue provenant du ciel n’a pas toujours été clémente avec les dinosaures, mais dans Jurassic Park ils sont souvent à découvert et en plein air. Il nous a fallu le soutien de Dennis pour que nous consentions à laisser ces dinosaures prendre la lumière du soleil sur leur peau sans qu’on n’ajoute aucun effet pour les masquer. C’est ce qui aide à rendre le film si intensément réel.
LUCAS : On a passé la porte technologique du futur. Nous sommes passés de l’époque du muet à celle du parlant, et nous refaisons la même chose aujourd’hui. À présent que nous sommes à l’ère du numérique, je pense que cela restera le cas pendant au moins cinquante ans. MUREN : Je ne sais pas quelle est la prochaine étape, s’il y en a une. Tout le monde parle d’hologrammes. Je veux bien, mais montrez-moi. LUCAS : Tout le monde dit : « Oh, vous allez remplacer les acteurs. » On ne peut pas remplacer les acteurs. Nous avons créé des répliques, des clones, mais ils ne peuvent pas jouer la comédie. Ce ne sont que des ordinateurs, nom de Dieu. ABRAMS : Si vous repensez à ce qui a été fait dans les films Star Wars, ça a déchaîné l’imagination des gens. Et c’est ce qui a fait marcher les affaires d’ILM, car ils ont été contactés de plus en plus, on leur a demandé incessamment de hausser le niveau. DOUG CHANG (DIRECTEUR DE LA CRÉATION DE LUCASFILM) : Tout le monde ici a la même attitude : personne ne l’a jamais fait, mais faisons-le. Et pourquoi pas ? S’il faut qu’il y ait une première fois, autant que ce soit nous.
« Mon job est de vous faire réaliser l’impossible. » — George Lucas
ABRAMS : Chaque fois que vous travaillez sur un projet, ils auront appris quelque chose grâce à un projet antérieur au vôtre. Il est fascinant d’observer l’évolution d’un groupe de personnes qui sont autant des enquêteurs et des scientifiques que des artistes. SPIELBERG : J’ai toujours pensé que si ILM était aux commandes de l’agence spatiale américaine, nous aurions déjà colonisé Mars. LUCAS : Il y a toujours eu un moment chez ILM, que ce soit le tout premier ou le tout dernier moment, où ils en venaient à dire : « C’est impossible, on ne peut pas faire ça. » Et je répondais : « C’est mon job. Mon job est de vous faire réaliser l’impossible. »
Traduit de l’anglais par Arthur Scheuer, Caroline Bourgeret et Nicolas Prouillac d’après l’article « The Untold Story of ILM, a Titan That Forever Changed Film », paru dans Wired. Couverture : Un combat aérien issu du nouvel épisode de la saga.