Parfois, elle semble presque disparaître dans le désert. Conçue comme un tour de magie architectural et topographique, la Passerelle vers l’Espace de Virgin Galactic dresse sa courbe sinueuse hors de la poussière du Nouveau-Mexique, ses surfaces d’acier démultipliées dans un mirage rouge-brun vibrionnant sur l’horizon. Au crépuscule, la silhouette du premier spatioport construit dans un but commercial se fond doucement dans la ligne de faîte des montagnes de San Andres, à trente kilomètres de là. L’itinéraire qu’emprunteront demain les astronautes tour-opérateurs à travers le bâtiment a été méticuleusement élaboré par les architectes de Foster + Partners pour préfigurer le voyage spatial qu’ils s’apprêtent à accomplir : une rampe de béton monte doucement vers le centre de la construction – une fente étroite qui forme un petit rectangle de ténèbres parfaites en dépit de l’aveuglante lumière du jour. L’étiquette magnétique que porte chacun des passagers déclenche l’ouverture de lourdes portes d’acier donnant sur un passage étroit et faiblement éclairé, dont les murs se courbent jusqu’à un autre portail sombre. Il s’ouvre sur un nouveau passage offrant une vue sur les 4 300 mètres carrés du hangar qui abrite la flotte d’engins spatiaux dans lesquels ils voyageront, quatre étages plus bas.
Puis c’est le finale : les dernières portes donnent sur le salon des astronautes, un vaste open space baigné d’une lumière naturelle venue d’un mur de fenêtres elliptique offrant une vue d’ensemble sur la piste de l’aéroport spatial, longue de trois kilomètres, et sur le ciel au-delà. L’effet produit est celui que recherchaient les architectes : malgré le fait que le bâtiment ne soit pas tout à fait terminé, lorsqu’un groupe témoin de touristes de l’espace y a été conduit, ils ont trouvé l’expérience si bouleversante qu’ils ont été émus aux larmes. Un énorme enjeu se joue ici dans le désert. Neuf endroits aux États-Unis sont aujourd’hui désignés sous l’appellation de spatioports, mais le complexe du Nouveau-Mexique – Spaceport America – est le seul à avoir été construit à partir du néant et conçu pour accueillir un service régulier de transport de passagers. Il a été édifié sur une plaine isolée située à cinquante kilomètres de la ville la plus proche. Et sa création n’a pas été bon marché : jusqu’ici, il aura coûté presque un quart de milliard de dollars (environ 200 millions d’euros), ses ingénieurs ont bitumé seize kilomètres de route simplement pour connecter le site au monde extérieur et la facture pour la piste seule s’élève à 37 millions de dollars. Et même si le bâtiment, qui a été conçu selon les exigences de la compagnie, arbore en son centre le nom de Virgin Galactic, il a été payé par l’État du Nouveau-Mexique, dont les citoyens ont voté pour une taxe de vente destinée à financer sa construction.
Un rêve de gosse
Par un matin froid de novembre, Christine Anderson, l’ancienne responsable de l’US Air Force désormais chargée de donner vie à Spaceport America, se tient sur une route d’accès battue par le vent, non loin de la Passerelle vers l’Espace. « Ce sont les prémices de l’industrie du transport spatial de passagers », dit-elle. Les équipes d’Anderson ont pour objectif d’achever leur travail à la fin de l’année 2013. Virgin Galactic prévoit un service régulier – le lancement quotidien de vols dans l’espace – pour le début de l’année 2014. Anderson est optimiste quant au futur : les vols suborbitaux quotidiens seront suivis par des voyages intercontinentaux de point à point, qui couvriront la surface du globe le temps de regarder un film en vol ; les voyages hors de l’atmosphère terrestre deviendront aussi banals que de prendre le bus. « J’espère », me dira plus tard Richard Branson, « que c’est le début d’une nouvelle ère pour le voyage spatial. » Mais avant qu’il se passe quoi que ce soit, Virgin Galactics devra construire une fusée qui vole.
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Richard Branson se revoit encore assis dans le salon de ses parents, à regarder Armstrong et Aldrin marcher sur la Lune.
Les voyages spatiaux sont un canon de la science-fiction depuis presque aussi longtemps qu’il existe des compagnies aériennes commerciales – la préfiguration d’un futur sans friction n’a jamais été aussi parfaitement représentée à l’image que dans les séquences d’ouverture de 2001, l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, dans lesquelles une hôtesse de la Pan-Am enturbannée de blanc distribue des collations en impesanteur, pendant le trajet vers un hôtel Hilton en orbite. Et lors de la sortie du film de Kubrick en 1968, la véritable Pan American – l’entreprise pionnière à l’origine des premiers vols commerciaux transatlantiques et trans-Pacifique – avait déjà ouvert une liste d’attente pour des voyages sur la Lune. Ils estimaient que le service ne débuterait pas plus tard qu’en l’an 2000, et ils avaient commencé à émettre des cartes de membres numérotées pour leur club des Premiers Vols Lunaires. C’était à la fois le signe de l’optimisme de la société, né de la confiance de ses dirigeants dans la haute technologie, et un habile coup publicitaire. Galvanisés par l’alunissage l’année suivante, 98 000 personnes à travers le monde se sont inscrites – l’une d’elle a même tenté de s’assurer un siège en envoyant un chèque d’un million de dollars (790 000 euros). Mais l’euphorie d’Apollo 11 n’a pas duré longtemps. La Nasa a coupé les vivres à son programme d’exploration lunaire et, en 1971, la Pan Am, à court d’argent, a clôturé sa liste d’attente. Lorsque la compagnie a finalement fait faillite en 1991, le club des Premiers Vols Lunaires est devenu une moquerie ponctuant les nécrologies de la compagnie, l’indicateur de l’arrogance qui avait été fatale à l’entreprise. Aujourd’hui âgé de 62 ans, sa crinière blonde tournant peu à peu au blanc jauni, Richard Branson se revoit encore assis dans le salon de ses parents, à regarder Armstrong et Aldrin marcher sur la Lune. Il avait eu 19 ans quelques jours plus tôt et faisait partie de la génération des enfants de l’ère du Verseau, aux yeux pleins d’étoiles, qui s’étaient sentis trahis par le futur quand leurs rêves de voyages spatiaux avaient commencé à s’étioler. « J’étais convaincu que le jour était proche où nous irions tous dans l’espace », se remémore-t-il. Et malgré cela, dit-il, il aurait pu voyager en orbite par plaisir à la fin des années 1980, avant quiconque sur Terre.
À cette époque, Branson était déjà l’un des hommes les plus riches du monde, propriétaire de sa propre compagnie aérienne. Il explorait l’attrait que pouvait exercer une image de marque casse-cou sur les gens – virées transatlantiques en bateau à moteur, voyages en ballon battant des records – lorsqu’il a reçu l’appel d’un ambassadeur de l’Union soviétique à Londres. Mikhaïl Gorbatchev, lui a expliqué l’ambassadeur, avait une proposition à lui faire : aimerait-il devenir le premier touriste dans l’espace ? Cela requerrait dix-huit mois d’entraînement à la Star City, en dehors de Moscou – à quoi s’adjoignait un détail d’importance : « Cela devait coûter quelque chose comme 50 millions de dollars », dit Branson. Le prix était un problème. « Je me suis simplement fait la réflexion que si je dépensais une telle somme d’argent pour aller dans l’espace, les gens se diraient que c’était un gaspillage insensé. Notre action humanitaire en Afrique et ailleurs était conséquente, aussi m’a-t-il semblé qu’un tel montant – même si c’était dans mes moyens – avait quelque chose de… grossier. » Branson a donc décliné la proposition – et plus tard, il l’a regretté. « Peut-être que j’aurais dû dire oui, dit-il. J’aurais probablement pu le justifier d’un point de vue marketing. » Le fait que le tourisme spatial soit devenu chose possible – même s’il n’était à portée que des hommes les plus absurdement riches – l’a mené à une prise de conscience plus profonde. « Le plus regrettable selon moi, c’est que ni la Russie ni l’Amérique n’étaient vraiment intéressés par le fait de donner aux millions de gens qui rêveraient d’aller dans l’espace l’opportunité de s’y rendre. » Après quoi il a commencé à tester l’idée auprès de ces gens. « Je leur demandais : “Si vous aviez la possibilité de faire un aller-retour dans l’espace – et que vous pouviez vous l’offrir – combien d’entre vous le feraient ?” 95 % d’entre eux levaient la main. » En 1995, à la suite d’une conversation avec Buzz Aldrin, Branson a commencé à étudier sérieusement le potentiel d’une démocratisation du voyage spatial. Et quand son responsable des projets spéciaux, Will Whiteborn, a tenté d’inscrire Virgin au registre du commerce en tant qu’entreprise aérospatiale à la Companies House de Londres, il a découvert avec stupéfaction que quelqu’un l’avait précédé. Branson avait secrètement déposé la marque pour une utilisation spatiale plus d’une décennie avant lui.
Building 75
Vêtu d’une tenue de pilote noire frappée d’un écusson au logo ailé brodé à son nom, Sir Richard Branson émerge d’un hangar situé en bordure du Mojave Air and Spaceport, en Californie. Au-dessus de lui, l’œil du logo de Virgin Galactic a récemment été peint sur le bâtiment. Alors qu’il dépasse le tablier en béton du hangar, il porte sous son bras une silhouette en carton à l’effigie de l’engin spatial à six places de Virgin, baptisé SpaceShipTwo. Aujourd’hui a lieu un bref événement au Mojave, un groupe de bâtiments en acier ondulé éparpillés le long d’une piste de béton dans le désert, à quelques kilomètres de la base aérienne d’Edwards.
Il est ici pour annoncer l’acquisition définitive de la Spaceship Company, la branche de fabrication d’engins spatiaux de Virgin (la devise de la société est : « Nous construisons des vaisseaux spatiaux »). Le bâtiment fraîchement repeint derrière lui se trouve être le Hangar de Test et d’Assemblage Final, où les nouveaux véhicules de la flotte de la compagnie seront assemblés. Les 200 membres de l’équipe de Virgin Galactic – la Spaceship Company plus un groupe d’ingénieurs issus des rangs du fabriquant d’engins aériens expérimentaux Scaled Composites – sont réunis autour de Branson sur le tarmac pour être pris en photo. Ce sont eux qui ont passé la majeure partie de ces dix dernières années à construire le prototype de la première fusée de ligne dans un autre hangar gigantesque de l’autre côté de l’aéroport du Mojave, connu sous le nom de Building 75. Branson et le fondateur de Scaled Composites Burt Rutan, connu pour son excentricité, ont une longue histoire derrière eux. Rutan a bâti sa réputation en vendant des plans d’avions peu conventionnels qui portaient des noms de gadget – le VaziEze, le Long-EZ –, que des pilotes amateurs de bricolage pouvaient construire dans leur garage avec de la mousse et de la fibre de verre. Mais en 1986, il est devenu célèbre pour avoir conçu le Rutan Model 76 Voyager, le premier avion à pouvoir voler sans escale autour du globe, avec un seul réservoir d’essence. Quand Branson a commencé à faire construire de l’équipement pour sa série de vols trans-océaniques en ballon – à commencer par une traversée de l’Atlantique en montgolfière en 1987 –, il s’est rendu au Mojave pour recevoir des conseils. « Burt est un génie lorsqu’il s’agit de concevoir des choses telles que des capsules pressurisées », confie-t-il.
Alors que ses exploits en ballons se poursuivaient, battant record après record, sa quête d’un véhicule qui pourrait envoyer le nom de Virgin dans l’espace s’est intensifiée. Lui et Will Whitehorn ont commencé à parcourir le monde à la recherche d’un engin spatial potentiel. Le lancement du X Prize en 1996 – qui offrait dix millions de dollars à la première équipe qui parviendrait à créer un véhicule réutilisable, capable de transporter au moins par deux fois des passagers au-delà du seuil de l’espace – a déclenché une explosion du nombre de sociétés privées vendant des technologies qui, d’après elles, incarnaient le futur du tourisme spatial. Branson et Whitehorn ont étudié au total une cinquantaine de concepts. « La plupart des entreprises étaient des affaires familiales. Peu s’y essayaient avec sérieux, se souvient Branson. Mais on ne pouvait pas en être assurés d’avance. » En 1999, il est retourné dans le désert du Mojave pour jeter un œil au concept Roton, de Rotary Rocket, le système le plus prometteur jusqu’alors. Financé par des investisseurs parmi lesquels le romancier Tom Clancy – qui espérait que le projet mettrait « la Nasa sur la paille » –, le Roton était une fusée réutilisable de dix-huit mètres de haut, pourvue de pales d’hélicoptère et conçue pour voler verticalement dans l’espace puis redescendre, utilisant pour ce faire des pales de rotor propulsées par des fusées à peroxyde. Construit sous contrat par Scaled Composites, le prototype Roton était exceptionnellement léger, mais presque impossible à contrôler et, même à une altitude maximum de vingt mètres, il volait comme s’il était suspendu à un fil agité par un géant capricieux. Branson y a songé un moment, mais s’est vite ravisé : « Cela semblait très périlleux », dit-il. Pendant ce temps, Burt Rutan avait commencé à développer en secret des plans pour son propre vaisseau spatial.
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Faire voler des êtres humains dans l’espace en toute sécurité n’est pas une tâche aisée, et les en ramener est plus difficile encore. L’objectif du X Prize était d’atteindre l’espace suborbital – qui commence à la ligne de Kármán, environ cent kilomètres au-dessus du niveau de la mer –, ce qui s’avère bien moins coûteux, en termes d’énergie comme d’argent, que d’atteindre l’orbite de la planète Terre. Le projet de Rutan était plus élégant et s’inspirait d’une technologie née avant même la création de la Nasa, avec la série de fusées X-planes, dans lesquelles les pilotes d’essai de l’US Air Force avaient pour la première fois franchi le mur du son, et frôlé plus tard les frontières de l’espace. Les X-planes avaient atteint leur zénith avec la fusée X-15. Transporté à une hauteur de 13,6 kilomètres par un bombardier B-52 au ventre duquel il était enchaîné, l’engin en forme de fléchette économisait ainsi 50 % du carburant dont il aurait eu besoin autrement, avant d’être finalement relâché pour s’élancer vers la frontière de l’espace, propulsé par des fusées. Puis il s’en retournait vers la Terre en planant.
Mais la X-15 requérait également un système de guidage par ordinateur. Rutan voulait que sa fusée, elle, soit entièrement pilotée au moyen d’un stick et d’un gouvernail. Sa solution s’est incarnée dans le système « plume », grâce auquel les ailes du véhicule pouvaient se replier hydrauliquement en vol, afin qu’au retour il se laisse tomber – doucement et avec une grande stabilité – comme un volant géant et horriblement cher. Avec plus de 20 millions de dollars de financement reçus de la part du cofondateur de Microsoft Paul Allen, Rutan a mis en route un programme pour construire et tester SpaceShipOne, ainsi que le vaisseau-mère conçu pour le transporter à haute altitude, WhiteKnightOne. Rutan a fait pour cela appel à un concept hybride, dans lequel un réservoir rempli d’oxyde nitreux se consumait à travers un cylindre creux en caoutchouc solide, propulsant SpaceShipOne dans l’espace en moins de deux minutes.
X Prize
En novembre 2003, Alex Tai, capitaine de Virgin Atlantic assurant l’itinéraire Londres-Los Angles, se trouvait au Mojave. Tai avait appris de l’aventurier Steve Fossett que Rutan travaillait à quelque chose d’excitant dans le Building 75 (à l’époque, Fossett, Rutan et Branson collaboraient sur le Virgin Atlantic GlobalFlyer, que Fossett piloterait sans escale autour du monde en 2005). Quand Rutan a révélé que SpaceShipOne était quasiment prêt, Tai a contacté Will Whitehorn, qui a appelé Branson. « Au diable GlobalFlyer, a dit Whitehorn à son patron, ils construisent un vaisseau spatial ! » Quelques mois plus tard, Branson a pris l’avion pour dîner en compagnie de Paul Allen et Rutan à la maison pyramidale des ingénieurs, près de Mojave. « Je bouillonnais d’excitation, raconte Branson. C’était un rêve qui devenait réalité – et je savais que si quelqu’un pouvait le réaliser, ce serait Burt. J’étais déterminé à ce que son engin s’envole dans l’espace en arborant le logo Virgin, et si l’opération était un succès, nous passerions à la prochaine étape. »
« Si un boulon se décroche et que vous mourez, explique Stinemetze, c’est ce qu’on appelle un point de défaillance. »
Rutan et Allen, qui ne songeaient pas à lancer une compagnie de transport de passagers et projetaient simplement d’exposer le vaisseau eu Musée de l’air et de l’espace du Smithsonian une fois qu’il aurait atteint son objectif, ont accepté de céder le brevet de la technologie à Virgin. D’après Branson, il n’y avait aucune compétition : « Bizarrement, dit-il, je pense que nous étions les seuls à plancher sur un tel projet. » Le 21 juin 2004, le pilote d’essai Mike Melvill, âgé de 64 ans, a franchi la ligne de Kármán pour la première fois à bord de SpaceShipOne. Sept mois plus tard, quand l’aéronef de Rutan a réalisé les deux vols en une quinzaine de jours nécessaires pour remporter le X Prize, sa queue était ornée du logo Virgin Galactic. Deux jours avant le premier vol de qualification pour le X Prize, lors d’une conférence de presse, Branson a annoncé son intention de lancer une compagnie de transport spatial de passagers, aussitôt qu’il disposerait du véhicule le permettant. Les billets seraient mis en vente très bientôt, payables immédiatement au plein tarif, en guise de consigne. Bien qu’étant remboursables, cela nécessitait néanmoins de la part de chaque passager d’allonger 200 000 dollars d’avance. Branson a déclaré que les vols pourraient commencer dès 2007. Le premier employé à plein temps de la nouvelle compagnie était Stephen Attenborough, un ancien directeur des investissements de la City qui avait pour tâche de monter une équipe de cinq personnes afin de mettre en place les fondations de la société. Installés dans des bureaux libres qu’ils avaient dégotés au siège du Groupe Virgin, à Notting Hill, l’équipe a créé un site web rudimentaire – un logo, des images du vol du SpaceShipOne qui les avait sacrés vainqueurs du X Prize, ainsi qu’un formulaire de candidature – pour pouvoir enregistrer les demandes de réservation. « Si nous nous attendions à avoir beaucoup de trafic, explique-t-il, nous étions beaucoup moins sûrs de trouver des gens pour réserver leur place. On leur disait grosso modo : “Écoutez, on ne sait pas combien de temps va durer le projet ; on ne sait pas quand le produit sera terminé ; on ne sait pas à quoi il ressemblera ; on ne sait pas très bien comment les choses se passeront pour vous à bord ; on ne sait pas davantage si vous serez en capacité de voler, car on n’en sait pas encore assez sur les exigences physiques d’un tel vol… mais si vous voulez en être, nous avons besoin de 200 000 dollars d’avance.” »
Le site a croulé sous le poids des réponses. « C’était le déluge », se rappelle Attenborough. Il a commencé à recevoir des chèques venant du monde entier, et certaines personnes sont venues en personne à Notting Hill pour déposer leur argent en gage. Les premiers candidats étaient évidemment très riches, et la plupart d’entre eux désiraient s’assurer qu’ils étaient sur le dessus de la pile pour embarquer pour l’espace. Des places ont été réservées à bord des premiers vols de Virgin Galactic pour ces premiers acheteurs, leur nombre étant limité à cent, et qu’on appelait les Fondateurs. Ce club privé d’aventuriers richissimes aurait un accès privilégié au programme tandis qu’il était en développement et, en temps venu, leurs noms feraient l’objet d’un tirage au sort pour déterminer ceux d’entre eux qui s’envoleraient les premiers. Au Mojave, l’équipe de Scaled Composites a commencé à travailler sur la transformation d’une fusée expérimentale à trois places qui avait seulement transporté un pilote d’essai expérimenté et 180 kilos de ballast – SpaceShipOne –, en un véhicule qui répondrait aux exigences et à l’expérience d’un client de Virgin – SpaceShipTwo –. Personne n’avait jamais fait quoi que ce soit de pareil dans le passé, et Matt Stinemetze, l’ingénieur qui deviendrait le directeur de projet ayant pour mission de superviser le nouveau programme, se rappelle que les discussions initiales étaient très générales. « Il s’agissait juste d’un paquet de conjectures sur des ordres de grandeurs approximatifs. » Pourquoi ne pas construire une grande fusée ? Ou bien une petite ? Une fusée pouvant accueillir onze passagers ? Quinze ? Vingt ? Ils ont également songé un temps à construire d’autres SpaceShipOne, afin d’envoyer deux passagers dans l’espace à la fois. Mais le prototype était un engin de recherche grossier, construit simplement dans le but de prouver qu’il était possible d’aller dans l’espace avec peu de moyens, et il souffrait de plusieurs « points de défaillance » potentiels. « Si un boulon se décroche et que vous mourez, explique Stinemetze, c’est ce qu’on appelle un point de défaillance. Certaines choses auraient probablement été faites différemment s’il s’était agi de transporter Angelina Jolie. »
Stinemetze a rejoint Scaled immédiatement après avoir été diplômé d’ingénierie aéronautique en 1998. Il avait le crâne rasé, portait une boucle d’oreille ainsi qu’un t-shirt « Je suis allé si vite que mes cheveux sont tombés » la première fois que nous nous sommes rencontrés. À chaque fois qu’il fait référence aux besoins des passagers de Virgin Galactic, pour me décrire le processus de conception, ce pilote breveté a pour habitude d’utiliser les noms des célébrités les plus renommées possédant déjà leur billet, comme instrument de mesure sardonique : « On ne veut pas embarquer Angelina et la secouer en quittant l’atmosphère, dit-il. S‘agripperait-elle réellement à une échelle de corde en cas d’urgence ? » L’équipe a vite réalisé que les besoins commerciaux de Virgin Galactic et les attentes des détenteurs de billets nécessitaient la conception d’un véhicule entièrement nouveau. Il devrait accueillir un nombre suffisant de passagers pour faire baisser le prix individuel rapidement, mais relativement restreint malgré tout afin d’éviter toute compétition pour disposer de la plus belle vue. Depuis Londres, Stephen Attenborough a sondé ses premiers clients pour savoir ce qu’ils attendaient du voyage. « Ils voulaient pouvoir se lever de leurs sièges en impesanteur, et ils mettaient un point d’honneur au fait de pouvoir observer la Terre depuis l’espace », raconte-t-il. Rien de tout cela n’était facilement réalisable dans la cabine minuscule de SpaceShipOne. Le nouvel engin serait donc conçu pour transporter deux pilotes et six passagers, et il disposerait de grandes et nombreuses fenêtres. Rutan a envoyé Stinemetze et l’équipe de conception à Los Angeles pour embarquer à bord d’une dizaine de vols paraboliques en impesanteur, dans un Boeing 727 spécialement converti à cet effet, afin qu’ils puissent mieux comprendre comment concevoir une cabine spatiale. Le reste de la technologie – le moteur de la fusée, la « plume » – serait reproduite et agrandie d’après les modèles du prototype. Durant l’été 2005, Attenborough a commencé à encaisser des chèques d’une valeur totale de 10 millions de dollars.
Là-haut
En septembre de l’année suivante, au NextFest organisé par Wired US à New York, Branson a dévoilé une maquette à l’échelle de SpaceShipTwo : un tube blanc brillant pourvu d’une aile en delta, de sièges inclinables sculptés dans des courbes douces et d’un total de douze hublots pour satisfaire les passagers. La cérémonie était présentée par Buzz Aldrin et Alan Watts, un passager de Virgin Atlantic de Watford qui avait accumulé assez de milles aériens pour s’offrir un ticket pour l’espace. Branson a profité de l’événement pour annoncer que les vols pour passagers seraient lancés depuis le Nouveau-Mexique en 2009. Une fois achevé, SpaceShipTwo ferait presque trois fois la taille de son prédécesseur expérimental – avec une cabine de 2,28 mètres de diamètre et de 3,6 mètres de long, la moitié de celle d’un petit avion d’affaires. Mais s’envoler à son bord sera quelque peu différent du vol de Mike Melvill, lorsqu’il est devenu le premier pilote privé à aller dans l’espace.
En une minute, l’avion spatial vole à une vitesse de 4 800 kilomètres par heure.
Après un décollage attaché au vaisseau-mère – WhiteKnightTwo, un turboréacteur à double fuselage d’une envergure de 42 mètres –, l’ascension jusqu’à l’altitude de lancement représentera la plus longue partie du voyage, prenant plus d’une heure pour atteindre quinze kilomètres. Pendant ce temps, n’ayant rien d’autre à faire que d’attendre le moment du décrochage, les pilotes de SpaceShipTwo prévoient de s’adresser aux passagers grâce à des casques sans fil, rassurant les plus anxieux. « Il n’y a pas de service de boissons, pas de journaux », explique Dave Mackay, l’ancien pilote d’essai de la RAF et capitaine de Virgin Atlantic, qui sera dans le cockpit pour les premiers vols de Galactic. Une fois libéré du vaisseau-mère, le vaisseau s’éloignera jusqu’à une distance de sécurité où les pilotes déclencheront alors le moteur à fusée, au moyen de deux interrupteurs situés dans le cockpit. Le premier armera le système ; le second ouvrira une vanne d’arrêt, versant une fine brume de nitrogène liquide dans la gorge du moteur, et enflammera un anneau sécurisé pourvu de trois allumeurs électriques. Avec un hurlement, la fusée atteindra la pleine poussée en un dixième de seconde, son nez pointé tout droit vers la frontière de l’espace, où l’air se raréfie L’accélération est difficile à imaginer : au moment de l’allumage, les passagers seront rejetés au fond de leurs sièges à une force de 3 g – Melvill dit que cela donne la sensation d’être projeté contre un mur de briques. Douze secondes avant de franchir le mur du son, trente avant Mach 2 ; en une minute, l’avion spatial vole à une vitesse de 4 800 kilomètres par heure. « Vous ressentirez tous les effets qu’un astronaute ressent en allant en orbite », assure Steve Isakowitz, le directeur technique de Galactic, ingénieur aérospatial et ancien administrateur de la Nasa. « Le bruit, la vibration, l’accélération sont pratiquement les mêmes que si vous étiez assis dans une navette spatiale en partance pour l’espace. » Durant ces quelques secondes, le ciel au-delà du cockpit traverse tout le spectre des bleus, de l’azur riche du sud de la Californie au bleu marine, à l’indigo, puis, brusquement, au noir complet. « Pas gris, noir, insiste Melvill. Aussi noir que de la peinture noire. »
Après environ 80 secondes, le pilote coupera le moteur et le vaisseau entrera immédiatement en gravité zéro. Les passagers seront alors de véritables astronautes. Détachant leurs ceintures, ils flotteront autour de la cabine et pourront admirer la vue : 1 600 kilomètres d’un horizon à l’autre, la courbure de la Terre subtile mais bien visible, la fine ligne bleue de l’atmosphère se détachant nettement sur les ténèbres de l’espace. Des caméras embarquées enregistreront chaque seconde de l’expérience, d’après Mark Butler, employé de Virgin Galactic qui chapeaute les préparations de la compagnie pour l’ouverture de Spaceport America, dans le désert du Nouveau-Mexique : « Ce sera l’événement le plus photographié de leurs vies », assure-t-il. Ce sera également l’un des plus courts. Au faîte de l’arc parabolique, l’aéronef passera seulement quatre minutes dans l’espace avant qu’il de commencer à redescendre vers la Terre. Le pilote positionnera la plume pour le retour, et les six passagers mettront leurs sièges à plat pour leur permettre de faire face aux 4 ou 5 g de l’accélération qu’ils connaîtront en retournant vers l’atmosphère terrestre. Après une descente de quinze minutes, ils seront de retour sur la piste du désert d’où ils avaient décollés. Le voyage semble fabuleux. Excitant, mais assez familier dans l’exposé – l’anticipation, la chute, la décharge d’adrénaline, les conséquences – pour sembler habituel, comme un extravagant tour de grand huit au prix exorbitant, peut-être, ou bien un très long saut à la corde. Et Virgin Galactic se targue à juste titre de son expérience dans le transport de passagers et de son excellent record de sécurité en presque trente années de vols autour du monde. Mais les avions-fusées ne sont pas des avions de ligne, et se rendre dans l’espace n’est pas traverser l’Atlantique. Même s’il est considéré comme un prototype d’essai pour le transport de passagers, SpaceShipOne n’a réalisé qu’un total de six vols avant d’être accroché dans le Smithsonian – il faut noter qu’à deux occasions, Mike Melvill a rencontré à son bord des soucis qui auraient pu le tuer. Les ingénieurs de Scaled Composites ont conçu SpaceShipTwo pour être aussi simple que possible, et ils suivent un programme de test progressif pour élargir peu à peu ses capacités. « Il est doté de toutes les améliorations et les leçons que nous avons tirées de SpaceShipOne, explique Matt Stinemetze. C’est un bien meilleur appareil sous tous les aspects. » L’idée, dit-il, c’est d’en faire un avion qui vole comme une fusée, et non l’inverse. Mais cela reste une technologie expérimentale. Quelque chose pourrait encore aller de travers.
L’accident
Mike Melvill était assis à son bureau du Building 75 lorsqu’il a entendu la détonation au-delà du cimetière des avions. Au début, il ne s’en est pas inquiété : le Mojave est installé dans un couloir de vols supersoniques, et il était habitué aux bangs caractéristiques qui éclataient au-dessus de sa tête. Mais quand il est sorti sur l’axe de vol après déjeuner, un après-midi de juillet 2007, et qu’il a vu le nuage de poussière s’élever à l’est, il a immédiatement su que quelque chose était allé de travers.
Quelques minutes plus tard, Chuck Coleman, un ingénieur en structures qui s’était rendu sur le site de test de fusée de Scaled plus tôt dans l’après-midi, a déboulé en titubant dans le bureau de Melvill. Son corps était hérissé de longs éclats de fibre de carbone, plantés comme des flèches. « Il faut que tu ailles chercher de l’aide », a-t-il bafouillé. Il était en état de choc. « Il n’était même pas conscient qu’il avait ces trucs dans le corps », se rappelle Melvill. Même s’il avait lieu sur le champ de tir des fusées situé au bout de la piste, parmi les bunkers – auparavant utilisés pour le stockage de munitions lorsque le Mojave était une base des Marines –, ce jour-là le test n’impliquait ni fusées, ni explosifs. Les ingénieurs de propulsion de Scaled expérimentaient une nouvelle valve sur le réservoir d’oxydant de SpaceShipTwo, une sphère de deux mètres en fibre de carbone conçue pour contenir 5 500 kilos d’oxyde nitreux liquide sous 800 atmosphères de pression. Le test consistait simplement à ouvrir la valve et à laisser le NO2 s’en échapper : un test d’ « écoulement froid » que les ingénieurs de Scaled avaient déjà réalisé par le passé. Dix-sept hommes étaient présents sur les lieux. Avant que le test ne commence, six d’entre eux se sont retirés dans un poste de contrôle à plus de cent mètres de là, protégés par un amoncellement de terre et un conteneur d’expédition, d’où ils pouvaient observer le test sur une télé en circuit fermé. Le reste de l’équipe observait le réservoir de derrière une clôture grillagée, à moins de dix mètres du site alors qu’on ouvrait la valve. Quelques secondes plus tard, une réaction soudaine a brisé le fond du réservoir avec une telle force explosive que le gaz de décompression a fait éclater quinze centimètres de béton sous le banc d’essais, projetant des fragments de pierre et de fibre de carbone partout aux alentours, dans un arc mortel. Deux hommes ont été tués sur le coup, un troisième est mort à l’hôpital de ses blessures, et trois autres ont été hospitalisés durant plusieurs semaines. Après plusieurs années passées ailleurs, l’ingénieur en propulsion Charles May venait tout juste de reprendre le travail chez Scaled cette semaine-là. Son ami Luke Colby a vu May mourir depuis le poste de contrôle. « Ce fut la pire journée de ma vie », se remémore Colby, ingénieur en propulsion chez Scaled. Les morts de Mojave ont été les premières pertes à déplorer pour l’industrie du vol spatial commercial. L’accident a beaucoup remué Rutan. Au cours de sa longue carrière passée à développer des aéronefs expérimentaux et à vendre des plans à réaliser soi-même aux pilotes amateurs, le concepteur avait l’habitude de répéter que son travail n’avait jamais causé aucun décès. À présent, trois hommes avaient perdu la vie dans la même journée. Dans les jours qui ont suivi l’accident, le site internet de Scaled, habituellement aride et technique, débordait de messages commémoratifs. Rutan a cessé de travailler sur SpaceShipTwo alors que les ingénieurs tentaient de découvrir ce qui était allé de travers – le programme a finalement été arrêté pendant un an. Une enquête de l’État de Californie sur l’accident a condamné Scaled à payer une amende pour défaut de contrôle des pratiques sur le lieu de travail, mais n’a pas réussi à expliquer ce qui s’était produit. Peu après, Rutan a été hospitalisé pour des problèmes cardiaques avant d’abandonner la direction de l’entreprise qu’il avait fondée.
Scaled a fait sa propre enquête sur l’accident, contactant des experts de l’aérospatiale à Lockheed, Northrop et Boeing. Mais eux non plus ne sont pas parvenus à isoler une seule cause de l’accident. Alors, pour éviter qu’un fait similaire ne se reproduise, les ingénieurs de Scaled ont été forcés de concevoir un nouveau système de propulsion pour SpaceShipTwo, et de remplacer le réservoir d’oxydant en fibre de carbone par un autre, doublé d’aluminium. On n’avait jamais rien fait de comparable. Alors que la construction et les tests de WhiteKnightTwo progressaient rapidement, l’avion ayant effectué son premier vol à la fin de l’année 2008, l’équipe de SpaceShip a commencé à explorer cinq moteurs et configurations d’essence différents pour la fusée. Un travail qui a pris des années. « Cela nous a renvoyés loin en arrière, raconte Stinemetze. Nous nous sommes beaucoup battus. » L’estimation de la date du premier lancement de transport de passagers de Virgin Galactic est passée de 2009 à 2011. Le coût total du programme, d’abord estimé à 20 millions de dollars, a grimpé entre 300 et 400 millions de dollars – au moins quinze fois l’estimation initiale. À la fin de l’année 2010, Rutan a annoncé son départ en retraite. En avril 2011, après 36 ans passés au Mojave, il a plié bagages et s’est installé dans un ranch dans l’Idaho.
Vers l’infini
En mai 2012, les autorités fédérales américaines de l’aviation ont accordé à Scaled un permis de lancement expérimental pour SpaceShipTwo. Le PDG de Galactic George Whitesides – ancien chef d’équipe de la Nasa qui avait été parmi les premiers acheteurs de billets pour un voyage spatial, avant qu’il ne rejoigne la compagnie – a annoncé que des essais de vols propulsés commenceraient avant la fin de l’année. En voyage pour faire la promotion de Virgin Mobile en octobre 2012, Richard Branson, visiblement frustré, a déclaré à un groupe d’étudiants de Varsovie qu’il avait cessé de compter les jours qui le séparaient de son premier voyage dans l’espace. Depuis le jour où la marque Virgin Galactic a été inscrite dans les registres, le marché du financement privé pour le voyage spatial – le New Space, comme l’appellent ses promoteurs – s’est considérablement agrandi. Basée à Mojave, l’entreprise XCor Aerospace – formée par des ingénieurs issus du programme raté de Rotary Rocket – a commencé à enregistrer des réservations pour des vols suborbitaux à bord de son futur avion-fusée propulsé par liquide inflammable, Lynx. SpaceX, la compagnie d’Elon Musk, conçoit actuellement des fusées et des capsules. Elle a rempli en octobre 2010 la première partie d’un contrat d’1,6 milliards de dollars avec la Nasa, quand la fusée Dragon X a décollé de Cap Canaveral pour livrer des fournitures à la Station Spatiale Internationale. La mission s’est soldée par un succès et Musk espère commencer les vols orbitaux habités en 2015. Au Texas, enfin, Jeff Bezos a travaillé en secret sur Blue Origin – son propre programme, visant à faire pour le voyage spatial ce qu’Amazon a fait pour la distribution numérique – pendant plus d’un dizaine d’années.
Branson affirme que le jour où il montera à bord de SpaceShipTwo pour son vol de passagers inaugural sera le plus excitant de sa vie.
Mais Branson est confiant dans le fait que Galactic a des années d’avance sur ses pairs. « Dans ce domaine, nous n’avons pas réellement de concurrents. Les décollages basés à terre ne pourront jamais nous défier en matière de transport de personnes dans l’espace, affirme-t-il. Quant aux compagnies élaborant des engins spatiaux où les gens doivent rentrer sur Terre en parachute… c’est une technologie d’un autre âge. Peut-être suis-je naïf – il y a peut-être quelqu’un qui travaille secrètement à un projet dont nous ne sommes pas au courant – mais mon estimation est que nous avons cinq ou six années d’avance sur n’importe lequel de nos compétiteurs. » En juillet 2012, Virgin Galactic a annoncé son propre programme de lancement de satellite commercial, LauncherOne – une petite fusée à lanceur aérien transportée sous WhiteKnightTwo, conçue pour envoyer de petites charges dans l’orbite basse de la Terre pour une petite fraction du coût d’un système conventionnel. Après quoi, Branson prévoit de remplacer le moteur hybride du SpaceShipTwo par un moteur à fusée liquide, avec l’intention de rendre les vols suborbitaux rapides moins coûteux et bien plus fréquents. Il souhaite enfin que Virgin Galactic utilise ses avions-fusées pour des trajets de point à point sur Terre, échappant à l’atmosphère pour gagner des heures précieuses sur les voyages intercontinentaux traditionnels. Mais cela requerra un véhicule qui puisse résister à la vitesse, aux températures et aux tensions d’un vol orbital, ce que SpaceShipTwo ne pourrait jamais endurer. « Si nous pouvons emmener les gens de New York à Sydney en deux heures d’ici une vingtaine d’années, je serai ravi, dit-il. Mais développer un tel projet ne va pas être donné. » Qu’importe quand cela finira par arriver, Branson affirme que le jour où il montera à bord de SpaceShipTwo pour son vol de passagers inaugural sera le plus excitant de sa vie. Il espère non seulement donner vie à une nouvelle industrie, mais il souhaite aussi transformer la relation de l’humanité avec sa propre planète. Branson croit que démocratiser cette expérience pourrait sauver la planète. « Nous pouvons envoyer d’énormes quantités de gens dans l’espace, qui reviendront sur Terre déterminés à agir dans le bon sens. » Comme Elon Musk, Branson rêve d’envoyer des êtres humains sur Mars. « Un aller simple. Le coût du voyage retour serait horrifiant, dit-il. Il y aura des tas de volontaires. » Il a déjà mené des recherches en ce sens. Le 1er avril 2008, Branson et Larry Page – après une nuit passée dans un bar – ont annoncé la formation d’une nouvelle joint-venture, « Virgle : L’Aventure de nombreuses vies », acceptant des candidats afin de coloniser la planète rouge. Quelques heures plus tard, ils ont révélé que c’était un poisson d’avril. « Nous avons eu des centaines de candidatures entre-temps », dit Branson.
Par un après-midi d’hiver éblouissant à Mojave, les moteurs de WhiteKnightTwo gémissent en s’arrêtant, à l’extérieur du Building 75. Il revient d’un vol d’entraînement pour lequel Dave Mackay était aux manettes. À l’intérieur du hangar, du personnel s’affaire sous le ventre de SpaceShipTwo, installant le réservoir d’oxydant géant du nouveau système de propulsion. Collé directement contre le revêtement du vaisseau, le réservoir pèse plus de la moitié du fuselage, et il a fallu des mois pour l’installer. « C’est énorme. La plus grosse opération que nous ayons eu à accomplir sur le programme depuis des années, dit Stinemetze. Toute la plomberie a été posée… donc c’est fini, en quelque sorte. » L’avion-fusée de Virgin Galactic est enfin prêt pour les vols propulsés. Les tests restants ne seront pas achevés tout de suite, mais le but final est désormais à portée de vue. « On commence cette phase avec les systèmes de moteur à fusée, et on finit dans l’espace », observe Stinemetze. Si tout se passe comme prévu, il se pourrait après tout que la première compagnie de vols spatiaux commerciaux entre en service à Spaceport America avant un an. Dans un hangar voisin, la Spaceship Company a déjà entrepris la construction du second avion spatial et du vaisseau-mère qui sortiront de la chaîne de production. Dans l’intervalle, des billets de 200 000 dollars continuent de se vendre. Au début de l’année 2012, Ashton Kutcher est devenu la 500e personne à s’enregistrer, rejoignant ainsi Stephen Hawking, Philippe Starck et la star de Dallas Victoria Principal sur la liste des passagers. Mais toutes les célébrités supposées prendre part au voyage dans l’espace n’ont pas encore réservé leurs places. Virgin a été très discret à propos de la liste complète. Tout ce que le groupe a révélé, c’est que pour défendre les intérêts de la démocratie, Branson a insisté pour que personne ne bénéficie d’un vol gratuit, qu’importe sa célébrité.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Up: the story behind Richard Branson’s goal to make Virgin a galactic success », paru dans Wired. Couverture : SpaceShipTwo, par Jeff Foust. Création graphique par Ulyces.